Namur sur le pied de guerre - Les intervallles le 20 août 1914
Conclusion
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Conclusion
Il y a des mythes autour de ces trois jours de combats : « Liège a grandi la Belgique, Namur l’a diminuée », telle était la phrase écrite par le colonel
suisse Jean Fleurier1. On a longtemps considéré
que la résistance de la position fortifiée de Liège
avait retardé de dix jours l’armée allemande. Rien
de plus faux. C’est un des mythes de l’année 1914
auquel Jean-Claude Delhez consacre un chapitre
en 20132, mais Henri Bernard (historien et professeur à l’ERM, 1900-1987) l’écrivait déjà en 19834,
comme bien avant celui qui était chef d’état-major
de l’armée belge en 1914, le lieutenant-général Antonin de Selliers de Moranville (1852-1945), et dès
19256. De la même manière, le combat de la garnison de la PFN et de la 4e DA n’a nullement permis
la bataille de la Marne et le sursaut franco-anglais.
La retraite des troupes françaises engagées dans
l’Entre-Sambre-et-Meuse et de la 4e DA, prises en
tenaille entre les corps allemands ayant franchi la
Sambre et, autour de Dinant, la Meuse, n’a pas
réellement stoppé l’avancement de la marée « Feldgrau ». Certes, un détachement de 100.000 hommes
a été momentanément distrait de l’avance du gros
des troupes, mais le plan Schlieffen avait lui-même
été amputé de son aile gauche au profit du front
russe dangereusement ouvert en même temps. Par
contre, la défense pied à pied des intervalles namurois a retardé l’entrée des Allemands dans la ville
même, contrairement à Liège. Bien plus, l’attaque
de la PFN – peut-on en définitive parler réellement
de siège ? – ne paraît être qu’un épiphénomène de
la bataille de la Sambre, à lire les histoires récentes
dues aux Français et aux Anglo-Saxons : en effet,
les combats principaux de ces journées d’août ont
lieu sur cette rivière, de Namur à Charleroi. Les historiens allemands quant à eux parlent de la « bataille
de Namur », mais englobent là aussi les engagements de Charleroi, de Dinant et de l’Entre-Sambreet-Meuse.
Dès le 21 août, le pilonnage intense par l’artillerie
allemande vise les forts mais dévaste aussi les intervalles. Les ouvrages de terre et de bois ne résistent
pas. Les troupes sont littéralement écrasées sous
un déluge de fer et de feu, auquel s’ajoutent ici et
là des blocs de béton arrachés aux forts et projetés
à des dizaines de mètres aux alentours. La concep-
tion même des tranchées et des redoutes de campagne évoluera fortement pendant la longue guerre
de position qui suivra durant quatre ans. Tels quels,
ces retranchements dérisoires ne pouvaient tenir ;
aucun enseignement n’avait été réellement tiré des
guerres récentes, celle entre Russes et Japonais en
1905 et les toutes dernières guerres balkaniques de
1912-1913. L’expérience de la guerre moderne est
une nouveauté tant pour les assaillants que pour
les défenseurs, même si les dirigeants politiques se
doutaient de son caractère épouvantable. Les Allemands concentrent leurs attaques contrairement à
Liège où ils avaient tenté une attaque brusquée sur
les trois quarts du périmètre défensif de la PFL. Tant
les rapports d’unités françaises que le compte-rendu de Selliers de Moranville témoignent de ce déluge de feu sous lequel il était impossible parfois de
tirer un coup de fusil.
Certaines unités belges se débandent, certains soldats faiblissent : c’est la peur, facteur largement
négligé par les dirigeants militaires avant la guerre.
Pourtant, Charles Ardant du Picq (1821-1870) avait
presque un demi-siècle plus tôt attiré l’attention sur
cet aspect du combat, même si cela n’a été publié
qu’en 1880 . Ajoutons à cela la méconnaissance réciproque dans les compagnies faites de réservistes :
il faut du temps pour développer un esprit de groupe,
et pourtant les destins étaient liés. Les récits prouvent aussi que beaucoup d’officiers n’avaient pas su
gagner la confiance de leurs hommes !
Le climat estival du mois d’août 1914 se caractérise
naturellement par la chaleur mais aussi un brouillard
en matinée. Les soldats sont accablés par leur uniforme, leur capote de drap épais, inadéquate, le
lourd sac à dos. Dans les unités françaises participant au volet occidental de la bataille, sur la Sambre,
des soldats se retrouvent au combat sans pelle voire
sans havresac qu’ils ont abandonnés en cours de
route.
Le déficit d’encadrement est avéré dans les unités
belges, comme par exemple, au 12e de ligne qui
combat avec la 3e DA à Liège, où il manque 45 %
des officiers et sous-officiers au déclenchement de
l’attaque allemande au début du mois.
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L’âge des soldats : une vingtaine d’années pour
les unités d’intervalle, trente à trente-cinq pour les
troupes de forteresse, est un autre facteur explicatif
des comportements. Comme l’absence d’habitude
au combat, malgré les grandes manœuvres de l’année précédente. On a peine à imaginer le choc causé par le vacarme de la canonnade et le sifflement
des balles de fusil et de mitrailleuse. Les Allemands
ont subi les mêmes effets, avec les conséquences
dramatiques qu’on sait : affolés, ils ont cru à des
tirs de francs-tireurs et de troupes irrégulières . Et
les civils, pendant l’attaque ? Ils se terrent pourtant
dans les caves, se sont enfuis, sont massacrés ou
employés comme boucliers humains. La garde civique a participé activement à la défense de Liège
jusqu’au 6 août : est-ce cela qui a fait croire dur
comme fer par les Allemands que des francs-tireurs
les harcelaient ?
Aujourd’hui, on ne voit plus de traces tangibles ni
des combats ni des fortifications de campagne, ni
des batteries de siège. Les cimetières militaires et
les forts, monolithes de béton noyés dans de miniforêts, en constituent les seuls vestiges matériels. Le
paysage des intervalles s’est modernisé, les routes
se sont agrandies, de nouveaux ponts franchissent
la Sambre et la Meuse, des autoroutes oblitèrent
champs et prairies. Mais par bien des aspects, il
rend possible de remémorer les événements. C’est
ce que nous désirions.
L’entrée et les abords du fort de Maizeret après la bataille. Carte postale d’après une photo allemande. Le pilonnage a ravagé le paysage. On
imagine l’état des tranchées des intervalles ! Coll. Bibliotheca Andana.
1. Dans la Revue militaire suisse en 1924.
2. Douze mythes de l’année 1914, collection Mystères de guerre, 2, Paris, Economica, 2013, p.25-42.
3. L’an 14 et la campagne des illusions, Bruxelles, La Renaissance du livre, 1983, p. 67.
4. Du haut de la tour de Babel. Commentaire sur la préparation à la guerre et la situation stratégique de la Belgique en 1914, Paris, Berger-Levrault, 1925.
5. Études sur le combat. Combat antique et combat moderne, Paris, Hachette / Dumaine, 1880 (plusieurs rééditions jusqu’en 1978). Voir S. AUDOIN-ROUZEAU, « Vers une anthropologie historique de la violence de combat au XIXe siècle : relire Ardant du Picq ? », dans la Revue d’histoire du XIXe siècle, no 30,
2005, http://rh19.revues.org/1015.
6. J. HORNE, A. KRAMER, 1914. Les atrocités allemandes, Paris, Tallandier, 2005.
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