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Namur sur le pied de guerre - Les intervallles le 20 août 1914 Conclusion 229 229 Conclusion Il y a des mythes autour de ces trois jours de combats : « Liège a grandi la Belgique, Namur l’a diminuée », telle était la phrase écrite par le colonel suisse Jean Fleurier1. On a longtemps considéré que la résistance de la position fortifiée de Liège avait retardé de dix jours l’armée allemande. Rien de plus faux. C’est un des mythes de l’année 1914 auquel Jean-Claude Delhez consacre un chapitre en 20132, mais Henri Bernard (historien et professeur à l’ERM, 1900-1987) l’écrivait déjà en 19834, comme bien avant celui qui était chef d’état-major de l’armée belge en 1914, le lieutenant-général Antonin de Selliers de Moranville (1852-1945), et dès 19256. De la même manière, le combat de la garnison de la PFN et de la 4e DA n’a nullement permis la bataille de la Marne et le sursaut franco-anglais. La retraite des troupes françaises engagées dans l’Entre-Sambre-et-Meuse et de la 4e DA, prises en tenaille entre les corps allemands ayant franchi la Sambre et, autour de Dinant, la Meuse, n’a pas réellement stoppé l’avancement de la marée « Feldgrau ». Certes, un détachement de 100.000 hommes a été momentanément distrait de l’avance du gros des troupes, mais le plan Schlieffen avait lui-même été amputé de son aile gauche au profit du front russe dangereusement ouvert en même temps. Par contre, la défense pied à pied des intervalles namurois a retardé l’entrée des Allemands dans la ville même, contrairement à Liège. Bien plus, l’attaque de la PFN – peut-on en définitive parler réellement de siège ? – ne paraît être qu’un épiphénomène de la bataille de la Sambre, à lire les histoires récentes dues aux Français et aux Anglo-Saxons : en effet, les combats principaux de ces journées d’août ont lieu sur cette rivière, de Namur à Charleroi. Les historiens allemands quant à eux parlent de la « bataille de Namur », mais englobent là aussi les engagements de Charleroi, de Dinant et de l’Entre-Sambreet-Meuse. Dès le 21 août, le pilonnage intense par l’artillerie allemande vise les forts mais dévaste aussi les intervalles. Les ouvrages de terre et de bois ne résistent pas. Les troupes sont littéralement écrasées sous un déluge de fer et de feu, auquel s’ajoutent ici et là des blocs de béton arrachés aux forts et projetés à des dizaines de mètres aux alentours. La concep- tion même des tranchées et des redoutes de campagne évoluera fortement pendant la longue guerre de position qui suivra durant quatre ans. Tels quels, ces retranchements dérisoires ne pouvaient tenir ; aucun enseignement n’avait été réellement tiré des guerres récentes, celle entre Russes et Japonais en 1905 et les toutes dernières guerres balkaniques de 1912-1913. L’expérience de la guerre moderne est une nouveauté tant pour les assaillants que pour les défenseurs, même si les dirigeants politiques se doutaient de son caractère épouvantable. Les Allemands concentrent leurs attaques contrairement à Liège où ils avaient tenté une attaque brusquée sur les trois quarts du périmètre défensif de la PFL. Tant les rapports d’unités françaises que le compte-rendu de Selliers de Moranville témoignent de ce déluge de feu sous lequel il était impossible parfois de tirer un coup de fusil. Certaines unités belges se débandent, certains soldats faiblissent : c’est la peur, facteur largement négligé par les dirigeants militaires avant la guerre. Pourtant, Charles Ardant du Picq (1821-1870) avait presque un demi-siècle plus tôt attiré l’attention sur cet aspect du combat, même si cela n’a été publié qu’en 1880 . Ajoutons à cela la méconnaissance réciproque dans les compagnies faites de réservistes : il faut du temps pour développer un esprit de groupe, et pourtant les destins étaient liés. Les récits prouvent aussi que beaucoup d’officiers n’avaient pas su gagner la confiance de leurs hommes ! Le climat estival du mois d’août 1914 se caractérise naturellement par la chaleur mais aussi un brouillard en matinée. Les soldats sont accablés par leur uniforme, leur capote de drap épais, inadéquate, le lourd sac à dos. Dans les unités françaises participant au volet occidental de la bataille, sur la Sambre, des soldats se retrouvent au combat sans pelle voire sans havresac qu’ils ont abandonnés en cours de route. Le déficit d’encadrement est avéré dans les unités belges, comme par exemple, au 12e de ligne qui combat avec la 3e DA à Liège, où il manque 45 % des officiers et sous-officiers au déclenchement de l’attaque allemande au début du mois. 231 231 Namur sur le pied de guerre - Les intervallles le 20 août 1914 L’âge des soldats : une vingtaine d’années pour les unités d’intervalle, trente à trente-cinq pour les troupes de forteresse, est un autre facteur explicatif des comportements. Comme l’absence d’habitude au combat, malgré les grandes manœuvres de l’année précédente. On a peine à imaginer le choc causé par le vacarme de la canonnade et le sifflement des balles de fusil et de mitrailleuse. Les Allemands ont subi les mêmes effets, avec les conséquences dramatiques qu’on sait : affolés, ils ont cru à des tirs de francs-tireurs et de troupes irrégulières . Et les civils, pendant l’attaque ? Ils se terrent pourtant dans les caves, se sont enfuis, sont massacrés ou employés comme boucliers humains. La garde civique a participé activement à la défense de Liège jusqu’au 6 août : est-ce cela qui a fait croire dur comme fer par les Allemands que des francs-tireurs les harcelaient ? Aujourd’hui, on ne voit plus de traces tangibles ni des combats ni des fortifications de campagne, ni des batteries de siège. Les cimetières militaires et les forts, monolithes de béton noyés dans de miniforêts, en constituent les seuls vestiges matériels. Le paysage des intervalles s’est modernisé, les routes se sont agrandies, de nouveaux ponts franchissent la Sambre et la Meuse, des autoroutes oblitèrent champs et prairies. Mais par bien des aspects, il rend possible de remémorer les événements. C’est ce que nous désirions. L’entrée et les abords du fort de Maizeret après la bataille. Carte postale d’après une photo allemande. Le pilonnage a ravagé le paysage. On imagine l’état des tranchées des intervalles ! Coll. Bibliotheca Andana. 1. Dans la Revue militaire suisse en 1924. 2. Douze mythes de l’année 1914, collection Mystères de guerre, 2, Paris, Economica, 2013, p.25-42. 3. L’an 14 et la campagne des illusions, Bruxelles, La Renaissance du livre, 1983, p. 67. 4. Du haut de la tour de Babel. Commentaire sur la préparation à la guerre et la situation stratégique de la Belgique en 1914, Paris, Berger-Levrault, 1925. 5. Études sur le combat. Combat antique et combat moderne, Paris, Hachette / Dumaine, 1880 (plusieurs rééditions jusqu’en 1978). Voir S. AUDOIN-ROUZEAU, « Vers une anthropologie historique de la violence de combat au XIXe siècle : relire Ardant du Picq ? », dans la Revue d’histoire du XIXe siècle, no 30, 2005, http://rh19.revues.org/1015. 6. J. HORNE, A. KRAMER, 1914. Les atrocités allemandes, Paris, Tallandier, 2005. 232 232