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Renier Acorre et la rue de Froidmantel : achats fonciers et distinction sociale (XIIIe siècle). Renier Acorre posséda au XIIIe siècle des maisons rue de Jacy, grande rue de Froidmantel et rue Evrard de Jouy, c’est-à-dire à proximité directe de l’îlot urbain où les Jacobins s’implantent à la même époque. L’homme est bien connu de l’historiographie champenoise1 et Élisabeth Chapin disait de lui qu’il fut « le plus riche et le plus important citoyen de Provins au XIIIe siècle2 ». Renier Acorre naquit à Florence, sans doute vers 1220 ou 1230. Le premier document que nous conservons aujourd’hui et dans lequel son nom apparaît date de février 1257. Il s’agit du plus ancien des actes du cartulaire privé de Renier Acorre. A partir de cette date, il est actif en Champagne, notamment dans la châtellenie de Provins. Il s’illustre dans les métiers du négoce et de la banque profitant des deux rendez-vous provinois du cycle des foires de Champagne. Si sa vie privée reste obscure3, sa vie publique ne l’est pas. Son importante fortune lui valut d'entrer très vite en contact avec le pouvoir comtal. En 1270, il est chambellan de Thibaut V et il le reste pendant le règne d’Henri III et pendant la régence de Blanche d’Artois et Edmond de Lancastre, jusqu’en décembre 1277. D'après Félix Bourquelot et Robert-Henri Bautier, pour compenser la perte de cette fonction en 1277 ou 1278, le roi de France aurait alors confié à Renier Acorre la charge de panetier, qu’il exerce jusqu’en 1290 ou 12924. Parallèlement à ses fonctions curiales, il 1 De Félix Bourquelot à Robert-Henri Bautier en passant par Élisabeth Chapin, les historiens, connus par ailleurs pour leurs travaux sur Provins ou la Champagne, sont nombreux à avoir consacré un chapitre ou un article à Renier Acorre : Félix BOURQUELOT, « Renier Accorre, financier et grand propriétaire au XIIIe siècle », Bibliothèque de l'école des chartes, t. 28, 1867, p.64-81 ; Élisabeth CHAPIN, Les villes de foire de Champagne des origines au début du XIVe siècle, Paris, Champion, 1937, p.120 et suiv. ; Robert-Henri BAUTIER, « Acorre (Renier) », Lexicon des Mitteralters, t.I, col.75. A la suite de sa thèse, Pascale Verdier a également donné un article précieux : Pascale VERDIER., « La construction d'une seigneurie dans la Champagne du XIII e siècle : Renier Acorre, seigneur de Gouaix (1257- 1289) », Seigneurs et seigneuries au Moyen Age. Actes du 117e congrès des Sociétés savantes (Clermont-Ferrand, 1992), Section d'histoire médiévale et de philologie, Paris, Editions du CTHS, 1993, p. 99-110. 2 Élisabeth CHAPIN, Op. cit., p. 120. 3 Il a épousé Jeanne, veuve de Eudes de Vieux-Champagne. Le premier document conservé où Jeanne est qualifiée de femme de Renier Acorre, est un acte présent dans le cartulaire et daté de 1268 (Bibliothèque nationale de France (BnF), ms.fr.8593, f°104 v°a-b, MONTANARO II, p.396 ; VERDIER n°316 (II, p.302)). Dans le Cartulaire de Provins, un acte de 1272, indique que les enfants issus du premier mariage de Jeanne sont mis hors de la « vouerie » de Renier et de leur mère, une façon de les déshériter. Renier Acorre voulait sans doute ainsi protéger les intérêts du fils qu'il avait eu avec Jeanne : Jean, nommé échevin de Provins en 1274 et maire de cette ville de 1275 à 1277 puis de nouveau en 1287. Les auteurs de la Collection de Champagne (vol.134, fol.131) parlent d'un autre fils, Girard, que Renier Acorre aurait eu avec une nommé Béatrix. 4 Je précise néanmoins que dans le cartulaire privé de Renier Acorre, la titulature de « panetier » ne lui est pas attribuée avant un acte datant de 1282 (BnF, ms. fr. 8593, f°183 v°b – 184 r°a). De même, Renier Acorre n’est plus intitulé ainsi après un acte datant de 1287 (BnF, ms. fr. 8593, f°56 r° ; MONTANARO I, p.310 ; VERDIER n°217 (I, p.192-193)). 1 exerça en outre la charge de receveur de Champagne, de 1271 à 12925, et non jusqu’en 1288 seulement comme l’écrivait Didier Ozanam6. Il est également membre du parlement7 et participe aux Grands Jours de Troyes en 12878. La fin de sa carrière fut entachée par une disgrâce, après 1292. Il fut même incarcéré et ses biens lui furent confisqués9. Il bénéficia néanmoins de lettres de grâce datées de 1294. Il semble qu’il soit mort vers 1297. Riche, sa vie durant, Renier Acorre l’était, assurément, et sur trente-deux ans d’une activité couverte par la documentation actuellement conservée, période au cours de laquelle il a déployé une importante politique d’agrandissement de ses propriétés, fondant dans la châtellenie de Provins une seigneurie banale et foncière centrée sur Gouaix et sur Provins, il a pu investir la somme totale de 29 522 livres provinoises, les années les plus fastes correspondant à l’intervalle entre 1271 et 1277. A titre de comparaison, on estime le coût du couronnement de Philippe le Bel en 1286 à quelques 23 000 livres tournois. De même, en 1314, le total des dépenses de l’hôtel du comte de Poitiers se montait environ à 23 500 livres10. Renier Acorre a donc investi en Champagne, et plus particulièrement dans la châtellenie de Provins, des sommes très importantes. 363 actes sur 546 que compte son cartulaire privé sont des achats, soit environ les deux tiers des documents qui le composent. Ce sont des terres, des dépendances qu’il achète, mais il s’implante également en ville, acquérant maisons et jardins, chambres et 5 Auguste LONGNON, Documents relatifs au comté de Champagne et de Brie : 1172-1361, Paris, Imprimerie nationale, 1901-1914, t.II, p.94-95 (1271) ; t.II, p.203 (1292) ; t.III, p.22 et 28 (1285) ; t.III, p.34, 42, 51, 59 et 64 (1287) ; t.III, p.88-89 (1288). Le cartulaire ne porte en revanche quant à lui aucune mention de la fonction de receveur de Champagne exercée par Renier Acorre. 6; Didier OZANAM, « Une institution locale : les receveurs de Champagne sous l'administration royale (1285-1357) », Recueil de travaux offerts à Clovis Brunel, par ses amis, collègues et élèves, II, Paris, Société de l’Ecole des Chartes, 1955, p. 335-348. 7 Auguste LONGNON, Op. cit., t.II, p.88 ; R-H. BAUTIER, art. cit., p.75. 8 Auguste LONGNON, Op. cit., t.II, p.51. 9 A-t-il commis des malversations ou sa trop grande fortune a-t-elle suscité les convoitises d'un pouvoir royal en mal de fonds propres ? En tous les cas, ses biens furent confisqués et vendus, au nom du roi, comme l’atteste un acte daté de juin 1293, et pris à Notre-Dame-du-Val de Provins (Bibliothèque municipale (BM) de Provins, Cartulaire Michel Caillot, f°.232 v° : « ad vendendum bona Renerii Accurrii, que ob culpam nobis venerunt in commissam »). En 12931294, Renier Acorre fut incarcéré. A partir de juin 1294, le Florentin est réintégré dans ses biens, moyennant le versement de 15 000 livres. 10 Robert FAWTIER, François MAILLART, Comptes royaux (1314-1328), Paris, Imprimerie nationale, 1961, t.3, vol.3, p.3-4 ; t.3, vol 2, p.781. Les termes de la comparaison sont néanmoins inégaux : certes la somme engagée par Renier Acorre est supérieure au coût du couronnement d’un roi, mais il s’agit là d’un investissement étalé sur trentedeux ans comparé à un événement ponctuel, la cérémonie de couronnement. Même remarque pour la comparaison avec le total des dépenses de l’hôtel du comte de Poitiers. 2 places, rentes assises sur des biens immobiliers, entre autres. Après trente-deux ans d’activité et d’investissements, son patrimoine foncier est considérable. Dans cette politique d’achats nombreux, nous pouvons repérer ce qui apparaît comme une concentration de biens immobiliers, sur un périmètre réduit : l’îlot urbain délimité par la « grant rue de Froitmantel », comme elle est souvent nommée dans les sources, et les rues, plus petites, de Jacy et Evrard de Jouy qui lui sont perpendiculaires. Les biens immobiliers qu’il acquiert dans ce quartier sont pour lui des sources de revenus appréciables, mais ne faut-il pas y voir également un moyen d’inscrire son pouvoir dans la ville ? Intérêts économiques et volonté de distinction sociale, voici les enjeux qui vont guider l’étude de cette concentration de biens immobiliers, réalisée par Renier Acorre, en face de l’îlot urbain des Jacobins. La mainmise sur un quartier de Provins par Renier Acorre Pour mener cette enquête, nous disposons d’une source exceptionnelle : le cartulaire privé de Renier Acorre, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale de France sous la côte ms. fr. 8593. Le cartulaire de Renier Acorre C’est ici l’occasion de donner quelques éléments rapides de synthèse à propos d’un manuscrit dont l’intérêt est majeur. Deux éditions en ont d’ailleurs été données, d’abord celle de l’Américain Ralph D. Montanaro11, puis celle de la Française Pascale Verdier12, mais elles n’ont 11 Ralph D. MONTANARO The cartulary of Renier Acorre, Ann Harbor (Michigan), University Microfilms International, 1976 (2 volumes). Pour de nombreux actes, il ne donne qu’un résumé. Les raisons méthodologiques qui ont présidé à la discrimination entre les actes dignes d’être transcrits et les autres ne sont pas indiquées. Pour renvoyer à ses éditions je procède ainsi : MONTANARO VOL., p. 12 Pascale VERDIER, Édition du cartulaire de Renier Acorre, Paris, École nationale des Chartes, 1992 (3 volumes), thèse non éditée. Pour renvoyer à ses éditions je procède ainsi : VERDIER n° (VOL., p.). Contrairement à Ralph D. Montanaro, Pascale Verdier a entrepris de numéroter les actes. Il n’est pas toujours aisé de naviguer entre les deux éditions. Il faudrait établir une table des correspondances. L’un comme l’autre ont en revanche fait le même choix, 3 pas été publiées, ne sont disponibles que sous forme de tapuscrits et ne sont donc pas facilement consultables13. Ces deux auteurs n’étaient pourtant pas les premiers à s’être intéressés au cartulaire de Renier Acorre : Félix Bourquelot avait accompli avant eux un travail d’analyse de chaque acte, folio par folio, entreprenant même parfois de les transcrire14. Cette dernière entreprise est néanmoins restée l’exception, puisque l’érudit provinois n’a transcrit en entier que sept actes du cartulaire15. On ne peut que regretter que ni Ralph D. Montanaro ni Pascale Verdier ne fasse mention de ce travail, pourtant loin d’être anecdotique, et qui avait toute raison de figurer dans les tableaux de tradition des actes qu’ils ont édités. Mais visiblement l’Américain comme la Française ne furent pas très soucieux de leurs devanciers, parce que ni l’un ni l’autre n’a pris la peine non plus de faire ne serait-ce qu’une mention au travail sur le cartulaire réalisé par Philippe Lenglet dans le cadre de son Diplôme d’Etudes Supérieures, soutenu à Paris en 196316. Ces réserves n’entament pourtant pas la qualité de leur travail d’édition d’un manuscrit aussi précieux. Il s’agit d’un grand in-folio en parchemin. Il date de la deuxième moitié du XIIIe siècle17, et sa reliure actuelle du XIXe siècle18. Le parchemin semble de premier emploi mais sa qualité est assez médiocre19. Le cartulaire compte 187 folios inscrits20, comporte deux types de foliotation21, appréciable, d’éditer le cartulaire dans l’ordre dans lequel le manuscrit se présente, ce qui permet de faire apparaître sa structure et ce qui respecte la logique de la source. 13 A ma connaissance, il n’est possible de consulter ces travaux que sur le site orléanais de l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT), sur le site d’Orléans. Je tiens d’ailleurs à remercier Sébastien Barret qui m’en a facilité la consultation. 14 Ce travail n’a pas été édité et est conservé sous sa forme manuscrite : BM de Provins, ms.155, Documents sur Provins, recueillis par F. Bourquelot – Renier Accorre – Cartulaire Cordelières Hôtel Dieu. 15 Il s’agit des actes suivants : BnF, ms. fr. 8593, f°109 r°, f°113 v°a, f°126 r°a, f°134 v°b, f°135 v°b, f°161 v°b, et f°184 r°. 16 Philippe LENGLET, Etude sur le cartulaire de Renier Accorre, D.E.S., Paris, 1963. L'indication en a été donnée par la Revue Historique pour l'année 1964 (Revue Historique, 1964, t.232, n°471, p.886). 17 Félix Bourquelot avance quant à lui une date très précise dans le manuscrit conservé à la BM de Provins : le cartulaire aurait été rédigé au mois d’octobre 1277. 18 La reliure a été réalisée lors du don du manuscrit en 1836 à la Bibliothèque royale par M. Techener, libraire parisien, qui l’avait acheté lors de la vente des biens de Mme Colin de Saint-Mars, nièce et héritière de l’abbé Ythiers. Ce dernier l’avait lui-même acquis en 1780 auprès de Nicolas Félix, notaire de Provins. Avant cela, il aurait appartenu, selon l’abbé Ythiers, à M. de Mascarany, seigneur d’Hermé. Ce sont deux mentions présentes sur les feuillets de garde qui nous renseignent sur cette histoire du manuscrit. Félix BOURQUELOT, art. cit., p.73. 19 Le parchemin est en effet relativement épais. On note de nombreuses irrégularités dans le traitement du parchemin : trous ; nombreux manquements au respect de la règle dite de Grégory ; irrégularité fréquente des bords de parchemin. 20 Le nombre de folio de l’ensemble du manuscrit est légèrement supérieur à ce chiffre, puisqu’il faut rajouter aux 187 folios inscrits, les six folios de garde qui ouvrent le manuscrit (quatre en papier et deux en parchemin) et les quatre folios vierges qui le terminent. 21 Le manuscrit présente d’abord une foliotation ancienne, en chiffres romains, qui court tout au long du recueil sans prendre en compte les deux folios de parchemin de garde. Une autre foliotation, plus récente et en chiffres arabes, est également présente, qui les comptabilise. Suivant cette dernière le corps du texte commence au f°3 et se termine au f°189. C’est elle que suivent Ralph D. Montanaro et Pascale Verdier. 4 et se compose de 35 cahiers22. Si la justification des folios est sujette à de légères variations de détail, en moyenne elle est de 260 x 322 mm23. A quelques rares exceptions près24, la présentation se fait sur deux colonnes par page, le nombre de lignes inscrites variant de 35 à 36. Les piqures et points-jalons sont encore visibles25. Le classement des actes à l’intérieur du cartulaire semble obéir à deux logiques, géographique et thématique, ce qui explique la présence de doublons26. Le cartulaire n’a sans doute pas été réalisé pour être présenté devant une autorité à l’occasion d’un procès ou bien pour servir d’archives, mais bien dans une visée pragmatique, celle de la consultation régulière des actes par leur commanditaire, ou ses agents, dans le cadre de la bonne gestion des propriétés de Renier Acorre. Dans cette même optique, la plupart des actes sont précédés d’une analyse rubriquée ou d’un titre que Ralph D. Montanaro a retranscrit, au contraire de Pascale Verdier27. La rareté du manuscrit tient à sa nature. Il s’agit d’un cartulaire français laïque et les exemples conservés d’une source de ce type sont peu nombreux, comme l’avaient montré Lucie Fossier et Olivier Guyotjeannin, à l’occasion de la communication qu’ils avaient donnée lors de la table ronde organisée par l’Ecole nationale des chartes et le G.D.R 121 du C.N.R.S, du 5 au 7 septembre 1991 à Paris, et dont les actes publiés par la suite sont devenus l’un des ouvrages de référence du renouveau historiographique concernant l’étude des cartulaires28. Lucie Fossier et Olivier Guyotjeannin établissent une différence entre les cartulaires de seigneurie laïque et les cartulaires de particulier29. Au terme de leur enquête, ils en dénombrent 70 qui appartiennent à la première 22 On relève trois folios seuls, un binion, neuf quaternions, quatre quinions, dix sexternions et huit octonions. 23 C’est le cas des f°13 et f°180. On note néanmoins des variantes, par exemple au f°62 (264 x 330 mm). 24 Quelques actes sont transcrits à longues lignes et correspondent à la période de transcription la plus tardive. 25 Ils guidaient le tracé des lignes de réglure, réalisée à la mine de plomb au recto et au verso de chaque feuillet L’unité de réglure varie de 8 à 9 mm. On compte 7 points-jalons par page. 26 Neuf actes sont concernés. Tous émanent des comtes de Champagne. 27 « Je n’ai pas retranscrit cette analyse qui se contente le plus souvent de donner les noms des vendeurs, le prix payé et la nature des biens vendus, toutes choses indiquées plus précisément dans le corps de l’acte », Pascale VERDIER, Op. cit., p.XXXIX. Ce choix est hautement contestable, dans le sens où ces analyses rubriquées sont un témoin de la visée pratique du cartulaire, destiné à la gestion courante des propriétés de Renier Acorre, ce qui implique de pouvoir retrouver facilement et rapidement un acte en son sein. 28 Lucie FOSSIER et Olivier GUYOTJEANNIN, « Cartulaires français laïques : seigneuries et particuliers », Olivier GUYOTJEANNIN, Laurent MORELLE, Michel PARISSE, Les cartulaires : actes de la Table ronde organisée par l'Ecole nationale des chartes et le GDR 121 du CNRS, Paris, 5-7 décembre 1991, Paris, Ecole des Chartes, 1993, p.379-410. 29 « (…) d’un côté, les « cartulaires de seigneurie », cartulaires de seigneuries plus encore que de seigneurs parce que, même s’il est commode de les placer sous le patronage du commanditaire, ils sont dès leur naissance placés sous le signe du temps long, souvent séculaire, de la progressive constitution d’une seigneurie et d’un chartrier, et qu’ils en reflètent souvent non seulement la naissance mais encore le devenir (…). D’un autre côté, les « cartulaires de particulier » : (…) cartulaires portant profondément la griffe d’un individu, passant au « je » et truffés de remarques 5 catégorie, et 18 à la seconde, pour une période d’études allant du XIIe siècle à la fin de l’Ancien Régime. Le cartulaire privé de Renier Acorre date quant à lui de la deuxième moitié du XIIIe siècle. Pour ce seul siècle, quelle que soit la catégorie envisagée, seulement 14 cartulaires privés laïques ont été conservés pour l’espace français, dont celui du Florentin devenu chambellan de Champagne, ce qui est peu, donc, et rehausse l’intérêt d’une étude du cartulaire de Renier Acorre. Cela qui ne veut pas dire pour autant que la pratique était rare pour des bourgeois ou des petits nobles de réaliser un tel document portant mention de leur patrimoine.30. Même si les deux auteurs ont pris la précaution de dire qu’une enquête plus poussée que celle qu’ils menèrent à l’époque permettrait peut-être d’accroitre le nombre des cartulaires de ce type à avoir été conservés31, même si la distinction opérée par les deux auteurs, entre cartulaires de seigneurie laïque et cartulaire de particulier, peut sembler assez artificielle32, même si le choix d’avoir classé celui de Renier Acorre, pourtant « seigneur de Gouvois », parmi les cartulaires de particulier peut sembler très étrange33, il n’empêche que l’enquête de Lucie Fossier et Olivier Guyotjeannin reste un travail de référence et nous permet ici de bien mesurer la rareté de la source de notre présente étude. attestant ses soucis de gestionnaire des acquisitions et des relations féodales », IDEM, art. cit., p.380. Enfin, parmi les cartulaires de seigneurie, les deux auteurs ont fait le choix de prendre en compte uniquement les seigneurs laïques de rang inférieur à celui d’un comte. 30 « Le souci de conserver leurs titres ne fut sans doute pas étranger aux bourgeois d'autrefois : bon nombre d'entre eux durent faire transcrire les chartes qu'ils avaient en leur possession, notant à l'occasion les faits mémorables de leur existence. Mais, livrées au hasard des partages et des successions, ces archives ont trop souvent disparu, et la liste est vite close des cartulaires privés parvenus jusqu'à nous. », Anne TERROINE, « Un cartulaire privé du XIIIe siècle conservé dans le fonds de l'abbaye de Saint-Magloire », Bibliothèque de l'École des chartes, 1948, t. 107, p. 5. 31 Lucie FOSSIER et Olivier GUYOTJEANNIN, art. cit., p.382. 32 Les deux auteurs le reconnaissent eux-mêmes, que ce soit dans le corps de leur texte - « L’analyse a été scindée entre deux volets, que l’usage en quelque sorte nous a imposés à l’origine de l’enquête, mais dont nous ne dissimulons pas les imperfections » (IDEM, art. cit., p.380) - ou dans la partie « Remarques et discussion », en réponse à une remarque de Jean-Marie Moeglin, justement sur l’artificialité de la distinction opérée (IDEM, art. cit., p.409-410). 33 Comme le critère permettant de discriminer entre les cartulaires de seigneurie et les cartulaires de particulier semble être leur inscription ou non dans le temps long et comme le cartulaire de Renier Acorre ne concerne que ses possessions propres et n’est pas poursuivi par ses descendants du fait de la confiscation de ses biens par le pouvoir royal, le choix s’est fait ainsi. Lucie Fossier et Olivier Guyotjeannin parlent d’ailleurs de « cartulaires de seigneuries mort-nées (Enguerrand de Marigny, Renier Acorre), dont la dispersion ou la confiscation a seule empêché le passage dans la catégorie des « cartulaires de seigneurie » » (IDEM, art. cit., p.380). L’explication s’entend mais il n’en demeure pas moins étrange de voir ainsi rapprochés le cartulaire d’un homme de loi parisien (Geoffroy de Saint-Laurent) ou celui d’un changeur bordelais (Elie Carpenter), et le cartulaire d’un homme d’affaires devenu seigneur en Champagne et agent du pouvoir comtal puis royal (Renier Acorre). Dans le même temps le cartulaire de ce dernier est donc séparé de celui des seigneurs de Châteauneuf ou de celui des barons de Montsoreau, avec lesquels il nourrit pourtant sans doute plus de liens. En effet, les cartulaires de particulie, concernent des individus qui n’ont pas eu de rôle politique ou qui n’avait pas le statut de seigneurs. 6 L’intérêt du cartulaire privé de Renier Acorre tient enfin également au nombre des actes qui y ont été copiés : 546. Le plus ancien est daté de février 125734 et les deux plus récents du mois de septembre 128935. On ignore l’identité des scribes, mais dans son étude codicologique et paléographique Pascale Verdier a démontré l’existence de trois mains distinctes36. La grande majorité des actes sont rédigés en langue vulgaire et non pas en latin médiéval (seulement 9 actes sur 546). Grâce au nombre des actes, à la reconstitution patrimoniale fine qu’ils permettent d’accomplir, nous sommes à même de cerner les stratégies qui ont visiblement guidées les achats fonciers de Renier Acorre. Une des inflexions qu’il suit très tôt semble avoir été le désir d’une implantation urbaine forte, d’où la multiplication des achats à Provins, qui aboutissent parfois à des phénomènes de concentration, notamment dans le quartier délimité par la rue de Jacy, la rue Evrard de Jouy et la grande rue de Froidmantel. Tableau des possessions foncières de Renier Acorre rue de Jacy, grande rue de Froidmantel et rue Evrard de Jouy Le cartulaire privé de Renier Acorre nous permet en effet de savoir que le Florentin possédait dans ces trois rues au moins neuf maisons et cinq chambres, sans compter des rentes assises sur plusieurs maisons ou des exemptions de cens. Passons ces droits et biens immobiliers en revue, rue par rue. Dans la rue de Jacy, il possède une maison. C’est un acte pris au nom de l’Hôtel-Dieu de Provins, copié dans son cartulaire privé, qui nous l’apprend : l’établissement provinois y fait en effet savoir qu’il donne par cet acte trois chambres à Renier Acorre, ainsi que leurs dépendances, qu’il possédait 34 BnF, ms.fr.8593, f°95 v°b-96 r°a ; MONTANARO II, p.379 ; VERDIER n°290 (II, p.275-276). 35 BnF, ms. fr. 8593, f°47 r°b ; MONTANARO I, p.299 ; VERDIER n°198 et 199 (I, p.168-169). L’amplitude chronologique couverte par le cartulaire privé de Renier Acorre est donc de 32 ans. 36 Pascale Verdier montre que la main la plus ancienne a fait le plus gros du travail, copiant 293 actes qui s’étendent de 1257 à 1272. La deuxième main lui ressemble mais obéit à un système orthographique différent. Elle a transcrit 197 actes qui couvrent la période 1260 – 1279. Mais si l’on enlève les mentions marginales, ce deuxième rédacteur a en réalité essentiellement couvert les années 1272 à 1277. Enfin la troisième main est très différente des précédentes. Elle a copié les 74 actes les plus récents, qui couvrent les années 1282 à 1289. Pascale VERDIER, Op. cit., p.XLIV-XLV. 7 « an la rue de Jaci, lez37 la meson Renier Acorre38 ». La transaction date du 23 juin 1267 et elle concerne les trois chambres. La mention de la maison de Renier Acorre n’est faite que pour préciser leur localisation dans la rue de Jacy. Il faut donc en conclure que c’est avant le 23 juin 1267 que Renier Acorre a acquis la maison en question. En plus de cette maison, dans cette même rue, il possède donc également trois chambres, mais ce chiffre monte à au moins cinq chambres, si l’on prend en compte les indications d’un autre acte du cartulaire, datant de juin 1276. Renier Acorre rachète cette année-là une rente qu’il devait à l’écuyer Colin de Malemaison et sa femme « seur chambres et places assises a Provins en la rue de Jaci lez le For a la Loquetiere d’une part et d’autre part lez les chambres doudit Renier qui furent a la Meson Dieu de Provins39 ». L’acte de 1276 nous renseigne uniquement sur le rachat de la rente, donc nous ne savons pas précisément à quelle date Renier Accore a pu acquérir ces chambres sur lesquelles portent la rente en question. Nous ne savons pas non plus exactement combien de chambres sont concernées. Le pluriel nous indique seulement que le marchand-banquier italien en possédait au moins deux, mais peut-être plus, sans que l’on puisse en savoir davantage, d’où la prudence de mise. Ces « au moins deux chambres » sont différentes des trois données par l’Hôtel Dieu en 1267, puisque ces dernières sont mentionnées dans l’acte de 1276 pour servir à préciser la localisation des premières. Enfin, rue de Jacy, Renier Acorre possède également des droits sur au moins cinq maisons puisqu’il rachète en juin 1277 à l’écuyer Jean de Chailly une rente annuelle de 7 livres 5 sous et 10 deniers de cens sur diverses maisons qui sont situées de la rue de Jacy à la rue Evrard de Jouy40. Dans la rue Evrard de Jouy, justement, Renier Accore possède au moins trois maisons. Un premier acte, datant du vendredi 28 octobre 1267, nous apprend que le comte Thibaud V lui a donné « des mesons qui furent monseignor Baudoin dou Plessie au Brebant, lesquex messons sieent a Prouvins pres de la Pisserote an la rue feu Evrart de Joi ; esquex messons souloient estre li tireours 37 « Lez » est une préposition courante en ancien français. Elle dérive du latin latus, lateris, qui signifie « à côté de ». Archives hospitalières de Provins, B 41 ; BnF, ms. fr. 8593, f°20 r° ; Dominique DUPRAZ, Les Cartulaires de l’Hôtel-Dieu de Provins, Paris, Ecole nationale des chartes, 1974, n°437, thèse non éditée ; MONTANARO I, p. 216218 ; VERDIER n°74 (I, p. 67-68). 39 BnF, ms. fr. 8593, f°134 r° ; MONTANARO II, p.443 ; VERDIER n°424 (II, p.397-398). 40 « item sept l. et cinc s. de rente ou de moison et dis d. de cens a Provins de la rue de Jaci juques a la rue feu Evrart de Joy, seur diverses mesons, c’est a savoir : seur la meson et les apartenances feu Nicholas Godart, LV s. et V d. de cens ; seur la meson Andri de Valeri, XX s. et I d. de cens ; seur les mesons Pierre l’Uileer, XXXIIII s. et II d. de cens ; seur la meson Lambert de Seint Audemer, XX s. et I d. de cens ; et seur la meson qui fu la Girmonne, XVI s. et I d. de cens », BnF, ms. fr. 8593, f°137 r° ; MONTANARO II, p.449 ; VERDIER n°435 (II, p.407-408). 38 8 aus feus41 ». Nous ignorons donc le nombre exact des biens immobiliers concernés, mais puisque l’acte évoque « des mesons » il faut conclure qu’il en possédait au moins deux, mais peut-être plus. Quatre ans plus tard, en avril 1271, Renier Accore achète dans cette rue une autre maison, à Jean Ribuède. Il s’agit de « la meson atoutes les voltes et atoutes les apartenances desus et desouz, qui siet an la rue feu Evrart de Joi entre la porte Renier Acorre et les estables doudit Renier42 ». Depuis le début de notre passage en revue des biens du Florentin, force est de constater qu’un acte qui concerne directement un bien immobilier peut nous donner, indirectement, des informations sur d’autres biens immobiliers que nous ne connaissons par aucune autre source. C’est le cas ici, puisqu’à l’occasion de l’acte d’achat de cette troisième maison minimum rue Evrard de Jouy, nous découvrons l’existence d’étables que possède dans cette même rue Renier Acorre et celle de « la porte Renier Acorre ». S’agit-il de la mention par métonymie d’une maison ou bien faut-il comprendre que le marchand-banquier italien avait fait construite une porte qui permettait de fermer, totalement ou en partie, la rue Evrard de Jouy, occasionnant ainsi une sorte de privatisation de l’espace ? Sans doute est-ce plutôt la première hypothèse, et l’expression serait alors synonyme de celle que l’on trouve dans un autre acte du cartulaire : « la porte de la maison a celui Renier43 ». Enfin, toujours dans cette même rue Evrard de Jouy, Renier Acorre récupère en mai 1272 des droits de lods et de ventes sur des maisons et leurs dépendances44. Dans la grande rue de Froidmantel, enfin, Renier Acorre possède cinq maisons, un appentis et des dépendances. Les acquisitions s’échelonnent entre 1258 et 1275, mais l’essentiel a été réalisé entre 1258 et 1260, ce qui fait que le noyau de l’implantation de Renier Acorre dans ce quartier de Provins semble bien avoir été la grande rue de Froidmantel. En effet, en octobre 1258, Renier Acorre achète à Imbert le Chaucier « une meson atoutes les apartenances derriers cele dicte meson, qui siet an la grant rue de Froitmantel devant la grant meison Pierre Coquin45 ». L’année suivante, au mois de mars, il achète dans cette rue une maison à la veuve de Robert le Sellier46 et, le même mois, il procède à un échange avec Corrat le Cordouanier : contre douze arpents de terre au finage de Vulaine-lès-Provins, Renier Acorre obtient une maison, un appentis et des dépendances rue de BnF, ms. fr. 8593, f°98 r°b – v°a ; MONTANARO II, p.383-384 ; VERDIER n°301 (II, p.285). BnF, ms. fr. 8593, f°108 r°b – v°a ; MONTANARO II, p.403 ; VERDIER n°328 (II, p.312). 43 BnF, ms. fr. 8593, f°114 v°a ; MONTANARO II, p.415 ; VERDIER n°348 (II, p.331-332). 44 BnF, ms. fr. 8593, f°116 v°a ; MONTANARO II, p.419 ; VERDIER n°361 (II, p.341). 45 BnF, ms. fr. 8593, f°103 v°b ; MONTANARO II, p.395 ; VERDIER n°312 (II, p.299). 46 BnF, ms. fr. 8593, f°104 r°a ; MONTANARO II, p.395 ; VERDIER n°313 (II, p.299-300). 41 42 9 Froidmantel47. En mars 1275, il achète à Raoul de Rouen et sa femme « leur meson si com elle se comporte devant et derriers atout le porpris ; et siet ladite mesons a Provins en la grant rue de Froitmantel, entre la meson Renier Acorre d’une part et le four a la Loquetiere d’autre, dés le pavement juques a la rue de Jaci48 ». Nous venons de passer en revue quatre maisons acquises progressivement rue de Froidmantel par Renier Acorre. Il faut en rajouter une autre, importante, et dont nous ne connaissons pourtant l’existence qu’indirectement : la grande maison de pierre de Renier Acorre. C’est ainsi qu’elle est nommée dans deux actes par lesquels il rachète à la léproserie de Close-Barbe des rentes sises sur des maisons de la rue Froidmantel. Le premier acte date d’octobre 1260 : Renier Acorre achète à Close-Barbe « la moison feite de la meson feu Yssabiau la Monnoiere et feu Jeufroi de Mostiers, jadis mariz de cele Yssabel, et par deus paires de leitres dou mestre et des freres et des sereurs de cele meson devant dicte ; laquel meson de cele devant dicte Yssabel siet a Prouvins an la grant rue de Froitmantel, entre la meson Raoul de Rouan, peletier, d’une part et la grant meson de pierre Renier Acorre d’autre part49 ». Comme il s’agit de la première mention de cette grande maison de pierre, que nous ne connaissons pas par d’autres actes que les deux que j’ai relevé dans le cartulaire, nous ne pouvons pas connaître précisément la date d’acquisition de cette demeure. Il faut donc en rester à la conclusion prudente que Renier Acorre la possède depuis avant le mois d’octobre 1260. Avec cette grande maison de pierre, il possède donc bien cinq maisons dans la rue de Froidmantel. Le deuxième acte qui évoque ce bien immobilier date de mars 1275 : le marchand-banquier italien achète à Close-Barbe une rente annuelle qui pesait sur une maison qu’il possédait et « qui est assise a Provins en la grant rue de Froitmantel entre la mesion Raou de Ruen et la grant maison de pierre doudit Renier Acorre50 ». Un troisième acte doit être également pris en compte. Il s’agit d’un abandon de cens accordé par le comte de Champagne au Florentin sur « la grant meson et des apartenances qui sieent an la rue de Froitmantel51 ». S’agit-il là de la même grande maison que dans les deux autres actes évoqués précédemment ? Certes le matériau utilisé n'est pas mentionné, mais c’est peut-être parce qu’il ne s’agit pas là d’un critère distinctif. L’abandon de cens date du samedi 25 mars 1259 ce qui repousserait d’au moins un an la date avant laquelle Renier Acorre 47 BnF, ms. fr. 8593, f°104 r°a-b ; MONTANARO II, p.395 ; VERDIER n°314 (II, p.300-301). BnF, ms. fr. 8593, f°132 v° ; MONTANARO II, p.441 ; VERDIER n°420 (II, p393-394.). 49 BnF, ms. fr. 8593, f°104 r°b – v°a ; VERDIER n°315 (II, p.301). Cet acte a été omis par Ralph D. Montanaro. 50 BnF, ms. fr. 8593, f°133 r° ; MONTANARO II, p.442 ; VERDIER n°421 (II, p.394-395). 51 BnF, ms. fr. 8593, f°104 v°b ; MONTANARO II, p.396-397 ; VERDIER n°317 (II, p.303). 48 10 aurait acquis sa grande maison de pierre en la rue de Froidmantel, si l’acte de 1259 se réfère en effet au même bien immobilier que les actes de 1260 et 1275. L’acte de 1275 nous renseigne également sur le fait qu’il possédait une rente annuelle sur une maison située dans la rue de Froidmantel. Ce n’est pas le seul acte de ce type concernant cette rue : je renvoie ici à l’abandon de cens de 1259, élargi, semble-t-il, dès l’année suivante, au mois d’avril, puisqu’il porte alors désormais « sor les messons Renier Acorre et sor les messons Giles Grosborjois d’autre part : lesquex mesons sieent an la grant rue de Froitmantel à Prouvins52 ». La concentration des biens fonciers de Renier Acorre dans un même quartier Si l’on refait les comptes, après cette revue de détail et en laissant de côté les dépendances, les rentes, les droits et les exemptions, c’est bien au chiffre de neuf maisons et cinq chambres que nous arrivons, pour les rues de Jacy, Evrard de Jouy et de Froidmantel, mais j’ai bien précisé qu’il ne s’agit pour ces deux types de biens immobiliers que d’un minimum. Il est très probable que Renier Acorre possédait dans ces trois rues plus de biens immobiliers que ces neuf maisons et cinq chambres dont nous pouvons être sûrs, grâce à l’étude du cartulaire. Le croisement avec les données archéologiques et l’étude du bâti apporterait de précieuses lumières, et je renvoie ici à l’étude qu’Olivier Deforge donne dans ce présent ouvrage. Certains titres de propriété du marchand-banquier italien ont en effet pu échapper au processus de cartularisation. Eu égard à l’ampleur de la tâche qui semble avoir été entreprise par les scribes de la deuxième moitié du XIIIe siècle à la demande de Renier Acorre, cette idée paraît étonnante au premier abord, mais d’une part la prudence, et d’autre part la mention indirecte de biens fonciers dont on ignore presque tout mais qui apparaissent dans des actes pour permettre la localisation d’autres biens, me poussent à formuler cette hypothèse de l’existence d’actes non couverts par le processus de cartularisation. Si tel est bien le cas, ces derniers auraient été laissés de côté, volontairement ou involontairement, ce qui devrait nous conduire à envisager à la hausse le patrimoine pourtant déjà considérable de Renier Acorre, non seulement dans ces trois rues de Provins, mais dans l’ensemble de la région. 52 BnF, ms. fr. 8593, f°106 r°a ; MONTANARO II, p.398 ; VERDIER n°319 (II, p.304-305). 11 Que l’on se contente du nombre de neuf maisons et cinq chambres minimum, ou qu’on estime devoir le revaloriser, les biens fonciers que Renier Acorre possède rue de Jacy, grande rue de Froidmantel et rue Evrard de Jouy sont importants et donnent l’impression d’un phénomène de concentration. Leur importance s’accroit si on les compare avec le reste des possessions du marchand-banquier italien à l’intérieur de la ville de Provins. Au total, il a acquis au moins vingtcinq maisons dans la capitale de cœur des comtes de Champagne, ce qui fait que plus d’un tiers (36%) des maisons qu’il a achetées à Provins se trouvent dans ces trois rues qui nous intéressent. Ailleurs dans Provins, il n’y a que rue de Jouy que l’on repère un phénomène de concentration similaire, mais son intensité est moindre puisqu’il ne possède là que quatre maisons. Sur les vingtcinq demeures acquises par Renier Acorre à Provins, sept n’ont pas pu être localisées précisément, mais on sait sinon qu’il possédait dans le Val une maison rue des Allemands, une autre rue de Troyes, une autre rue des Faisceaux ainsi que deux maisons rue aux Aulx. Au Châtel, il possédait une maison rue Saint-Jean, une autre au Bourg-Neuf de la Barberie et donc quatre maisons rue de Jouy53. La première implantation de Renier Acorre dans le quartier qui nous intéresse date de 1258. Or il s’agit de la première année où il entreprend des achats à Provins. A côté de la maison qu’il acquiert rue de Froidmantel, en juillet 1258 il achète également « une meson fete si come une granche54 » mais dont on ignore la localisation précise dans Provins, ainsi que, au cours du mois de novembre de la même année, des redevances sur des tenures et des boutiques situées rue de Culoison, « hors de la porte55 ». Non seulement il y a concentration dans ce quartier, mais en plus le marchandbanquier y donc est présent depuis le début de son implantation à Provins. Il faut rajouter que puisque le premier acte du cartulaire date de février 1257, ces achats se déroulent au tout début de la constitution de la seigneurie foncière de Renier Acorre. Son implantation dans ce quartier de Provins est enfin bien antérieure à la période 1274-1275 qui correspond au moment où il achète le plus de maisons : 19 ces deux années-là56. Tout cela conforte enfin Renier Acorre dans son statut 53 Pascale VERDIER, Op. cit., p.XXII-XXIII. BnF, ms. fr. 8593, f°97 v° ; MONTANARO II, p.381-382 ; VERDIER n°297 (II, p.282). 55 BnF, ms. fr. 8593, f°106 v° ; MONTANARO II, p.399 ; VERDIER n°321 (II, p.306-307). 56 Ralph D. MONTANARO, Op. cit., I, p.119. Le tableau du total des achats par année que l’Américain donne ici est un élément qui facilite l’appréhension de la constitution du patrimoine foncier de Renier Acorre. 54 12 de bourgeois de Provins, titre qu’il a acquis au moins depuis 1260 57 : « The cartulary itself established Renier Acorre as having been a Florentine expatriot-become-bourgeois of Provins58 ». Si l’on élargit d’ailleurs maintenant le rayon de notre comparaison à l’ensemble des maisons que possède Renier Acorre, l’importance des neuf maisons et cinq chambres de la rue de Jaci, de la grande rue de Froidmantel et de la rue Evrard de Jouy s’en trouve encore accrue. En effet, il possède hors de Provins quinze ou seize autres maisons, dont une à Sergines, une à Troyes, deux à Flamboin, deux à Courcelles, deux à Voulton, trois dont on ignore la localisation et enfin quatre ou cinq à Vulaine-lès-Provins. Il faut rajouter à cela les maisons fortes qui recoupent une réalité architecturale et sociale un peu différente. Il en possède au moins six à Gouaix59. Maisons et maisons fortes, dans l’ensemble du comté de Champagne, Renier Acorre a donc acquis quarantesept demeures. Bien sûr, la part que représentent les neuf maisons du quartier qui nous intéresse ici, rapportée à l’ensemble de celles qu’il a achetées dans l’ensemble du comté, est moins éclatante : 19%, presque un cinquième tout de même. Cependant, ce qu’il faut remarquer, c’est que dans aucun des autres lieux où Renier Acorre possède quelque bien immobilier, autant de maisons ne se trouvent rassemblées au même endroit. En effet, les seuls phénomènes de véritable concentration que l’on peut repérer, sont les quatre ou cinq maisons de Vulaines-lès-Provins et surtout les six maisons fortes de Gouaix, noyau de la seigneurie de celui qui est d’ailleurs souvent qualifié de « seigneur de Gouvois » dans son cartulaire60. Mais dans ces deux villages, la concentration est moins importante que dans le quartier provinois, d’abord quantitativement, puisque le simple rapport des chiffres montre la supériorité de l’îlot urbain constitué par les rues de Jacy, de Froidmantel et Evrard de Jouy, mais aussi qualitativement, puisque rien ne dit que dans ces villages évoqués les maisons en question aient été regroupées sur 57 BnF, ms. fr. 8593, f°106 r°a, f°157 r°a ; MONTANARO II, p.398, II, p.487-488 ; VERDIER n°319 (II, p.304-305), n°461 (II, p.447). 58 Ralph D. MONTANARO, Op. cit.,I, p.33. 59 Pascale VERDIER, Op. cit., p.XXII-XXIII. 60 Thomas LACOMME, Concurrence pour la protection et l’encadrement des marchands étrangers fréquentant les foires de Champagne. Le cas des marchands-banquiers italiens aux foires de Provins (1137-1338), Mémoire de master, 1e année, sous la direction de Jean-Louis GAULIN, Lyon, Ecole Normale Supérieure, 2012, p.97. Etudiant les titulatures qui suivent le nom de Renier Acorre dans son cartulaire, j’avais montré que la titulature la plus présente était celle de chambellan (53 occurrences), mais que celle de « seignor de Gouvois », si elle était moins présente quantitativement (35 occurrences), figurait à plus long terme, sa première mention correspondant à un acte daté de 1263 et sa dernière à un acte de 1287. 13 un périmètre restreint, comme cela semble bien être le cas dans l’îlot en question, situé en face de celui où s’implantent au même moment les Jacobins. Les raisons d’une implantation : intérêts économiques et sociaux Dans la constitution du patrimoine foncier de Renier Acorre, le quartier de Provins que nous étudions ici occupe donc une place à part. Faut-il lire pourtant dans cette concentration effective une stratégie d’implantation volontaire mise en place par Renier Acorre ou bien ce dernier n’a-t-il fait que saisir des opportunités d’acquérir des biens et d’obtenir des revenus ? Il ne faut en effet pas oublier que ces achats peuvent tout aussi bien correspondre à des effets d’aubaine et à un trait de caractère, peut-être à une certaine rapacité personnelle de Renier Acorre, habile homme d’affaires. Il est possible aussi que les premiers achats n’aient été que des opportunités saisies et qu’ensuite Renier Acorre ait réfléchi à une sorte de plan d’implantation à l’échelle de ce quartier, qu’il n’a peut-être pas choisi au départ mais qu’il a fait sien par la suite. Nous sommes évidemment dépendants de nos sources et il est bien difficile de cerner les motifs du commanditaire par le truchement d’un cartulaire qui regroupe des actes de la pratique, peu enclins, par leur nature, aux révélations d’intention. Volontaire ou non, la concentration des maisons peut être expliquée par deux causes complémentaires : le calcul économique et la distinction sociale. Les biens immobiliers pouvant être tout à la fois les vecteurs et les symboles de la richesse, l’intérêt économique et l’intérêt social sont sans nul doute deux causes à prendre en compte concomitamment pour expliquer le plus justement le phénomène de concentration repéré dans ce quartier de Provins. Les revenus des maisons Les maisons qu’il a achetées rue de Jacy, grande rue de Froidmantel et rue Evrard de Jouy sont évidemment des sources d’argent pour Renier Acorre, parce qu’il les loue souvent à des particuliers, et c’est bien ainsi qu’il faut comprendre la possession des cinq chambres, au moins, 14 rue de Jacy. Dans le cartulaire, un acte non daté nous apprend ainsi qu’il louait à Provins vingtquatre biens : « Ce sont li d. de rente que l’en doit des loiers des messons de Prouvins, des places, des jardins, des vignes et des prez qui sont a Prouvins et an la chastelerie de Prouvins ». S’en suit une liste dans laquelle on trouve notamment « Les chanbres de la Messoin Deu an la rue de Jaci. », mais aussi d’autres bien qui pourraient tout à fait être localisés dans le quartier : « La grant sale seur la voie61. Les petites quaves lez la meson Raoul de Rouan de la Colerie62. La messon feu Giles Borborjois sor la Grant Rue63. Les messons des tireors aus feus qui furent le roi64 ». Cette source de revenu n’est pas négligeable. L’acte qui dans le cartulaire suit la liste de rente que je viens de citer, lui aussi non daté, nous fournit une somme globale de ce type de revenus, dont le montant serait de 141 livres 14 sous65. Deux autres actes du cartulaire viennent nous renseigner sur le marché des biens immobiliers à Provins au XIIIe siècle, en apportant quelques indications sur la durée et le prix de ces locations. Le premier date de mars 1266 : Renier Acorre loue une de ses maisons de Provins, moyennant 5,5 livres par an, en deux versements, et la promesse de son locataire d’y investir 100 livres dans les trois ans66. Dans le second acte, qui date de 1271, Renier Acorre n’est plus dans la position du propriétaire mais du locataire, puisqu’il prend en location pour six ans une maison à Provins, moyennant la somme de 80 livres provinoises67. Ces achats sont pour le marchand-banquier italien une source de revenus importante. Mais est-ce pour autant une acquisition si rentable que cela ? Pascale Verdier pose la question : « Sa politique d’accroissement de ses propriétés a eu ceci d’intéressant qu’il a acheté des biens uniquement dans les environs immédiats de Provins. Il semble chercher avant tout à obtenir, à travers ses achats, le statut de seigneur local, implanté dans un terroir, plutôt que le placement financier lui offrant le maximum de profit, auquel cas il aurait pu acheter des biens dans un rayon supérieur68 ». 61 Cette mention vient juste après celle des « chanbres de la Messoin Deu an la rue de Jaci » et il semblerait logique que la voie en question dans laquelle perçoit une rente pour une grande sale soit la rue de Jaci. 62 S’agit-il du même Raoul de Rouen que dans l’acte déjà évoqué de mars 1275 (BnF, ms. fr. 8593, f°132 v° ; MONTANARO II, p.441 ; VERDIER n°420 (II, p393-394.)) ? 63 Il s’agit sans doute de la grande rue de Froidmantel. 64 Jean MESQUI, art. cit., p.53-54. 65 BnF, ms. fr. 8593, f°154 v°b ; MONTANARO II, p.483 ; VERDIER n°459 (II, p.443). 66 BnF, ms. fr. 8593, f°103 v° ; MONTANARO II, p.394 ; VERDIER n°311 (II, p.298). 67 BnF, ms. fr. 8593, f°107 v°b – 108 r°a ; MONTANARO II, p.402 ; VERDIER n°326 (II, p.310-311). 68 Pascale VERDIER, Op. cit., p. XXV. 15 Les anciens propriétaires et les voisins : le choix du quartier Ce n’est donc pas seulement l’intérêt économique qui explique et oriente la politique d’achat de biens immobiliers qui fut celle de Renier Acorre. Il recherche une implantation locale forte, de type seigneurial, et les maisons qu’il acquiert sont aussi le reflet de son ascension sociale. Lui le financier et le négociant, enrichi certes mais marchand tout de même, un horsain de surcroît, traite avec des bourgeois, mais aussi avec des nobles pour ses acquisitions dans le quartier de la grande rue de Froidmantel. Sur toutes les transactions qui concernent nos trois rues d’étude, qu’il s’agisse d’achat, d’échange ou de vente, de maisons, de chambres, de droits ou d’autres choses, Renier Acorre entre cinq fois en relation avec des bourgeois (Raoul de Rouen, Robert le Sellier, Jean Ribuède, Imbert le Chaussier, Corrat le Cordouanier), trois fois avec des institutions religieuses (Hôtel-Dieu, CloseBarbe) et trois fois avec des nobles. En 1267, le comte de Champagne donne au Florentin des maisons qui appartenaient au seigneur Baudoin du Plessis Brébant. En 1276 et 1277, c’est avec deux écuyers que traite Renier Acorre, respectivement avec Colin de Malemaison et avec Jean de Chailly. Les deux hommes sont liés : ils sont tous les deux gendres du seigneur et chevalier Guillaume de Launoi. Le premier a épousé sa fille Marguerite et le second sa fille Marie. Sur l’ensemble des transactions qu’il accomplit durant sa vie, Renier Acorre entre plus souvent en rapport avec la noblesse. Pascale Verdier a ainsi relevé que sur 127 ventes d'un montant supérieur à 50 livres, 63, près de la moitié, ont été réalisées avec des écuyers ou des chevaliers, c'est-à-dire avec la noblesse et donc davantage qu'avec la bourgeoisie69. Parmi ces nobles avec lesquels Renier Acorre traite, un nom se détache, celui de Jean Malecouvée. Les maisons que le Florentin acquiert dans le quartier de la grande rue de Froidmantel dépendent presque toutes soit de la censive d’un établissement religieux (la collégiale séculière SaintQuiriace, l’Hôtel-Dieu, etc.), soit du comte, soit de celle de Jean Malecouvée. Après avoir acheté le bien immobilier, Renier Acorre procède souvent au rachat de la censive ou de la part de censive dont dépend ce bien, mais ce rachat ne peut intervenir que plusieurs années plus tard. Il commence donc souvent par ne détenir que le jus utile puis, seulement dans un second temps, le jus eminens. 69 Pascale VERDIER, art. cit., p.89. 16 Il n’y a pas qu’à Provins, et dans le quartier que nous étudions, que Renier Acorre récupère des parts de censives qui appartenaient à Jean Malecouvée. C’est également le cas à Everly70 ou à Jutigny et ses environs71. Ainsi trouve-t-on au total dans le cartulaire, treize transactions qui concernent des biens de la censive du noble champenois. Dans la rhétorique des actes en question, Jean Malecouvée est qualifié à deux reprises d’écuyer72, à trois reprises de seigneur73 et enfin à quatre reprises de chevalier74, sachant qu’il ne cumule jamais les titres et que donc son nom apparaît sans aucune titulature dans quatre autres actes. Au passage, ces actes nous donnent donc un indice quant à la date de l’adoubement de Jean Malecouvée : les actes dans lesquels il est qualifié d’écuyer datent de 1262 et 1268, alors que ceux où il figure sous le titre de chevalier datent de 1272, 1273 et 1275. Son adoubement a donc eu lieu entre 1268 et 1272. Enfin, trois actes du cartulaire privé de Renier Acorre qualifient de « monseignor » Jean Malecouvée, ce qui renvoie au fief dont il a hérité à Villecendrier et à Provins, principalement75. Les Malecouvée sont enfin connus à Provins pour leurs relations avec l’Hôtel-Dieu76. 70 BnF, ms. fr. 8593, f°13 v° ; MONTANARO I, p.190-191 ; VERDIER n°36 (I, p.42). BnF, ms. fr. 8593, f°13 v°b, f°48 r°a-49 r°b, f°49 v°b-50 r°b ; MONTANARO I, p.190-191, I, p.300, I, p.300-301 ; VERDIER n°37 (I, p.43), n°200 (I, p.170-173), n°202 (I, p.175-176). 72 BnF, ms. fr. 8593, f°13 v°, f°104 v° ; MONTANARO I, p., II, p.396 ; VERDIER n°36 (I, p.42), n°316 (II, p.302). 73 BnF, ms. fr. 8593, f°108 r°b – v°a, f°155 r°a – 156 v°a, f°162 r° ; MONTANARO II, p.403, II, p.483-487, II, p.506507 ; VERDIER n°328 (II, p.312), n°460 (II, p.443-446), n°475 (II, p.462-463). Pascale Verdier précise que ces deux derniers actes (VERDIER n°460 et 475) n’en formaient sans doute qu’un à l’origine mais que les deux parties ont été disjointes par l’adjonction de feuillets (Pascale VERDIER, Op. cit., II, p.443, note 1). 74 BnF, ms. fr. 8593, f°48 r°a-49 r°b, f°49 v°b-50 r°b , f°116 v°a, f°132 v° ; MONTANARO I, p.300, I, p.300-301 II, p.419, II, p.441 ; VERDIER n°200 (I, p.170-173), n°202 (I, p.175-176), n°361 (II, p.341), n°420 (II, p.393-394). 75 « Jehannez Male Couvée de Villa Cendrier, armiger, ligius, juratus, tenet domum fortem de Villa Cendrier, et homines de Plesseto de Pigiaco, et franchisiam domorum suarum in Barbaria Pruvinensi, et franchisiam domorum in Valle Privinensi, et logias quas facit in nundinis sancti Aygulphi, et censum apud Provinum et Surdolium, et centum solidos in domibus regis in vico de Culloiaun. Item tenet illud quod Adam de Meleduno tenet apud Villam Cendrier et Servole, de ballio, que omnia estimat XXX libratas terre. Servientes sui dixerunt quod non debet gardam. De retrofeodis, servientes sui nichil dixerunt. », Auguste LONGNON, Rôles des fiefs du comté de Champagne sous le règne de Thibaud le Chansonnier (1249-1252), publiés d’après les minutes conservées au trésor des chartes, Paris, Henri Menu, 1877, chap. XVII « Ce sont li fié de la chattelerie de Provins, anno XL nono », p.188, n°858. Seize ans plus tard, le fief n’a pas changé : « Johannes Malecouvée de Villa Cendrier, ligius de sa maison fort illuec, de ses hommes de la justice et de ses honmes du Plais[sis] et de Pigi, de franchisia domorum suarum in valle Pruvini et in castro, de logiis nundinarum Sancti Aygulfi quolibet anno super pavimentum, cent sextiers de blé et mesons du roy en la rue de Culoison, chascun an et de son cens à Prouvins et à Surdeul, avec la voerie de Surdeul. », Auguste LONGNON, Documents (…), t.I Les fiefs, III Liste des hommages faits à Thibaud V, roi de Navarre et comte de Champagne 1265, deuxième partie [baillage de Provins] §4 Feoda de Pruvino, n°5642, p.227. 76 Archives hospitalières de Provins, B 3 ; Dominique DUPRAZ, Op. cit., n°79 : dans un acte datant de 1235-1236, Pierre Malecouvée, qui est peut-être le père ou l’oncle de Jean Malecouvée, approuve la donation faite à l’Hôtel-Dieu par son grand-père, Pierre Malecouvée, des aires situées à Busançois. 71 17 Renier Acorre profite sans doute d’un problème financier des Malecouvée qui serait survenu à la toute fin des années 1260 et au début des années 1270. Ralph D. Montanaro dit que « Renier's mixing with the nobility came as a result of his ability to supply them with ready cash and not from any inherited noble status of his own77 ». C'est également comme cela que l'universitaire américain explique la mention de « chevalier78 » ou de « sire79 » que l'on peut relever dans certains actes du cartulaire. « Neither Bourquelot nor I were able to find any reference there to Renier as having noble blood or becoming a noble80 », écrit-il. Ces titres ne sont peut-être alors que le signe de cette assimilation par l'argent. Félix Bourquelot affirmait d’ailleurs que c'est l'argent dont Renier Acorre disposait, notamment en tant que receveur de Champagne, qui « l'avait rendu maître de Gouaix81 ». La distinction sociale par la pierre et par l’eau Les maisons qu’il acquiert à Provins, notamment dans la grande rue de Froidmantel, sont donc les symboles de son ascension sociale, de son intégration locale et de son assimilation, partielle ou totale, à la noblesse. Il inscrit sa puissance dans la ville, par deux éléments : l’eau et la pierre. La grande maison de pierre de la rue de Froidmantel Dans tout l’inventaire des maisons qu’il possède à Provins et notamment dans l’îlot urbain qui nous occupe ici, l’une d’entre elles sort du lot : sa « grant maison de pierre ». J’ai déjà cité plus haut les deux actes du cartulaire qui l’évoquent, l’un datant de 1260 et l’autre de 1275. L’expression 77 Ralph D. MONTANARO, Op. cit., I, p.46. BnF, ms.fr.8593, fol.123 v°a-b ; MONTANARO II, p.441 ; VERDIER n°419 (II, p.392-393). Il s’agit d’un acte daté de février 1275. Il est noté à la fin de l'acte « messire Acorre de Florence, chevaliers » sans que l'on ne sache très bien si cette titulature renvoie à Renier ou à son fils Jean, tous les deux présents dans l'acte. 79 BnF, ms. fr. 8593, f°58 r°a, f°151 r°b – v°a ; MONTANARO I, p.313, II, p.478. ; VERDIER n°227 (II, p.200), n°455 (II, p.439). 80 Ralph D. MONTANARO, Op. cit., I, p.46. 81 Félix BOURQUELOT, art. cit., p.65. 78 18 n’apparaît au sein du cartulaire que dans ces deux actes : aucune autre maison de Renier Acorre, à Provins et ailleurs, n’y est qualifiée de « grande maison de pierre ». Que faut-il en conclure ? Il est assez rare de trouver, pour désigner les maisons évoquées dans les actes du cartulaire, la précision du matériau qui les composent. Je n’ai ainsi trouvé dans l’ensemble du manuscrit aucun bâtiment décrit comme une maison de bois, et seulement de très rares autres exemples de maisons de pierre82. Faut-il penser pour autant que parmi les biens immobiliers de Renier Acorre seule cette grande maison de la rue Froidmantel était faite en pierre, au contraire des autres, pour la seule raison que les actes qui traitent de ces autres maisons ne les décrivent pas comme étant en pierre ? Sans doute pas. Les sources médiévales passent souvent sous silence ce qui est de l’ordre de l’évidence. En partant de ce constat, que faut-il penser ? Que s’il n’y a aucune mention, dans le cartulaire, de maisons en bois, c’est parce que toutes l’étaient, qu’il n’y avait pas besoin de le préciser parce que ce critère n’était pas distinctif, et que donc seules les maisons qui étaient en effet en pierre méritaient de voir le complément du nom « de pierre » leur être accolé au moment où dans l’acte elles étaient évoquées, parce qu’il y avait là un critère distinctif ? Rien n’est moins sûr. Dans l’introduction qu’elle donne à son édition du cartulaire privé de Renier Acorre, en évoquant la grande maison de pierre de la rue de Froidmantel, Pascale Verdier ajoute sous forme d’incise : « signe de richesse s’il en est83 ». Personne ne saurait nier cette évidence : la pierre coûte cher, plus que le bois. Tout le monde ne pouvait pas au Moyen Âge se permettre de construire en pierre. Peutêtre conviendrait-il pourtant de nuancer le commentaire de Pascale Verdier, qui voit dans cette grande maison de pierre de la rue Froidmantel, une exception, du fait du matériau utilisé. En effet, dans leur étude conjointe sur les maisons médiévales de Provins, Olivier Deforge et Pierre Garrigou-Grandchamp ont rappelé les trois caractéristiques principales du bâti à Provins au Moyen Âge : régime de mitoyenneté, fréquence des voûtements et importance des architectures en pierre, On trouve un acte de juillet 1277 qui évoque une « meson de pierre ». Il s’agit d’un achat fait par Renier Acorre au bourgeois de Provins Bonnevie de Côme et ses fils d’une rente annuelle de 20 livres tournois assise sur des maisons et des granges de Provins, dont une maison en pierre, pour la somme de 200 livres tournois : BnF, ms.fr.8593, fol.138 r°v°a ; MONTANARO II, p.450 ; VERDIER n°438 (II, p.410-411). Il y a enfin la grande maison de pierre de Giles Grobourgeois : cf. infra. 83 Pascale VERDIER, Op. cit., p.XXIII. 82 19 ce dernier élément étant notamment lié à l’abondance au sein du plateau calcaire de Provins des ressources lithiques propices à la construction84. Il faut toujours rester prudent quant à la rhétorique des actes, d’autant plus que celui de 1260 comme celui de 1275, qui portent tous les deux la mention « grant maison de pierre », émanent du même auteur : la léproserie de Close-Barbe. Peut-être ne faut-il donc y voir qu’un usage du scriptorium de la léproserie en question, sans que l’on ne puisse rien en conclure de plus. Ce serait d’autant plus vrai si l’on part du principe que la grande maison de la rue de Froidmantel évoquée dans l’abandon de cens de 1259 est la même bâtisse que celle que mentionnent les actes de 1260 et 1275. L’acte de 1259 est issu de la chancellerie comtale, use donc d’une autre rhétorique diplomatique et c’est ainsi qu’il faudrait comprendre la disparition de la mention du matériau constitutif de la maison, qui ne représenterait donc pas un critère distinctif. Une autre grande maison de pierre située dans la rue de Froidmantel existe d’ailleurs. Elle est citée dans ce même abandon de cens de 1259, pour situer la grande maison et les dépendances que Renier Acorre possède dans cette rue : « entre la meson de pierre qui fu Giles Grosborjois d’une part et la meson feu Nicholas Pietrain d’autre part85 ». Dans l’expression « grande maison de pierre », c’est donc peut-être plutôt l’adjectif épithète qui constitue un critère distinctif. Les dimensions de la maison étaient peut-être suffisamment importantes pour méritées d’être précisées. Ce n’est d’ailleurs pas le seul bien immobilier dont on souligne par cet adjectif la taille imposante : dans un acte, déjà cité, de 1258, la « grant maison Pierre Coquin » était évoquée86 ; dans un acte de 1273, Renier Acorre achetait à Jacques Grosbourgeois 28 livres tournois « de rante assis sus deus maisons joignanz l’une a l’autre, qui sieent entre la grant sale Renier et la porte de la maison a celui Renier87 ». Mais que ce soit par ses dimensions ou par le matériau qui la compose ou du fait de ces deux éléments à la fois, la grande maison de pierre de Renier Acorre fut sans aucun doute une demeure 84 Olivier DEFORGE, Pierre GARRIGOU-GRANDCHAMP, « Provins, maisons médiévales (XIIe-XIVe siècle). Etat des connaissances. », Monuments de Seine-et-Marne, congrès archéologique de France, 174e session, 2008-2014, Paris, Société Française d'Archéologie, 2015, p.323-348. 85 BnF, ms. fr. 8593, f°104 v°b ; MONTANARO II, p.396-397 ; VERDIER n°317 (II, p.303). 86 BnF, ms. fr. 8593, f°103 v°b ; MONTANARO II, p.395 ; VERDIER n°312 (II, p.299). 87 BnF, ms. fr. 8593, f°114 v°a ; MONTANARO II, p.415 ; VERDIER n°348 (II, p.331-332). 20 dont il pouvait se targuer. Elle participe de son prestige social, tout comme un droit qu’accorde le comte de Champagne au marchand-banquier italien : bénéficier de fontaines dans ses maisons. Les tuyaux de la gloire « Nous, Henris, par la grace de Dieu rois de Navarre, de Champoigne et de Brie cuens palazins, faisons savoir a touz ceus qui ces presentes lettres verront et orront que nous donons et otroions a nostre amé et feal chambellain Renier Acorre plain pooir et congié de faire venir en ses maisons de Provins une fontaine ou pluseurs fontaines par tuiax ou par conduiz, de quelconques leu que il voudra et qu’il li plaira d’antor Provins ; et que il les puist amener et faire venir franchement en ses maisons par noz rues de Provins et par mesons et par possessions qui sont en nostre terre (…) 88 ». L’acte est daté du jeudi 28 septembre 1273 et le comte précise que les tuyaux et conduites en question appartiennent à Renier Acorre et à ses héritiers, même s’ils passent sous des biens sur lesquels ils n’ont en revanche aucun droit. Propriétaires des tuyaux et conduites, ils ont donc la charge de les entretenir89. Enfin une clause est prévue en cas de dommages causés, du fait du passage ou de l’entretien des tuyaux et des conduites, aux bâtiments sous lesquels l’eau de Renier Acorre court. Cette autorisation concerne l’ensemble des maisons que le marchand-banquier italien possède à Provins. Il est néanmoins intéressant de remarquer la place de l’acte dans le cartulaire. Il s’insère en effet dans une série de huit actes, du f°103 v°b au f°106 r°a, qui concernent tous des biens ou des droits sis ou assis en la grande rue Froidmantel. Comment expliquer ce choix opéré lors du processus de cartularisation ? Est-ce une manière de nous faire comprendre que seules les maisons de cette rue ont effectivement été concernées par cette autorisation comtale et ont pu bénéficier de l’adjonction de fontaines ? Ne faut-il voir là, au contraire, que de l’arbitraire et un effet de source ? Toutes les maisons provinoises de Renier Acorre sont concernées par le dispositif de l’acte, or il y 88 BnF, ms. fr. 8593, f°105 r°, f°158 v° ; MONTANARO II, p.397-398, II, p.494-495. ; VERDIER n°318 (II, p.303304), n°465 (II, p.452-453). Il s’agit du comte Henri III. 89 « que il puissent retenir, ratorner et rapareiller les tuiax et les conduiz desdites fontaines a toz jorz pardurablement, sanz nul enpeeschement de nous ne de noz hoirs ne d’autrui ». 21 a concentration de maisons dans un quartier, ce qui fait que, puisque le classement géographique domine pour l’agencement du cartulaire, il y a également dans celui-ci concentration d’actes concernant ses maisons à Provins, donc peut-être les cartularistes ont-ils simplement fait le choix de placer à cet endroit un acte qui trouverait là un bon écho, même s’il concernait également d’autres maisons situées dans d’autres quartiers de Provins et donc d’autres actes copiés sur d’autres feuillets du cartulaire. Je précise d’ailleurs que l’acte est également présent dans la section du cartulaire où sont regroupés tous les actes pris au nom des comtes de Champagne en faveur de Renier Acorre90. La présence de ce doublon renouvelle le questionnement : puisque la place de cet acte, dont la portée concerne toute la ville de Provins et non pas une seule rue ou un seul quartier, était toute trouvée, parce que, du fait même qu’il émane des comtes, il allait être regroupé avec les autres actes comtaux, pourquoi l’avoir fait figurer par ailleurs parmi les actes concernant uniquement la rue de Froidmantel ? En tous les cas, l’autorisation qui est donnée là par le comte à Renier Acorre est un avantage matériel autant qu’une distinction sociale et symbolique. En ville, « l’eau est rare au Moyen Âge », rappelait Jean-Pierre Leguay dans son livre L’eau dans la ville au Moyen Âge, en ouverture d’un passage intitulé « Une insuffisance quantitative notoire »91. Dans sa contribution au cinquième colloque européen de Calais, Chloé Deligne fait la recension des points d’eau (fontaines ou puits) communs dans les villes médiévales, pour montrer la surreprésentation de ceux-ci, très tôt, à Bruxelles, son objet d’études : « Avec ses 35 points d’eau « communs » et sa dizaine de fontaines d’apparat, Bruxelles qui compte quelque 40 000 habitants à la fin du XIVe siècle, apparaît comme exceptionnellement équipée dans le contexte de nos régions92 ». A titre de comparaison, on ne dénombre à la même époque que dix-huit points d’eau à Lille93, six ou sept fontaines à Lyon, deux à Rouen, une seulement à Dijon, à Chartres ou Périgueux, ainsi que dans la plupart des villes bretonnes94. A Paris, vers 1400, une des villes les plus peuplées de l’Europe médiévale avec ses 90 Actes des comtes : du fol.157 r°a au fol.163 r°a. Jean-Pierre LEGUAY, L’eau dans la ville au Moyen Âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p.111. 92 Chloé DELIGNE, « L’eau de la ville, l’eau des familles, enjeux de la distribution d’eau à Bruxelles (XII e-XVIe siècles) », Stéphane CURVEILLER, Jean-Pierre WILLIOT (dir.), L’eau et la ville du MA à nos jours. Cinquième colloque européen de Calais, Calais, Les Amis du Vieux Calais, 2004, p.81-90. 93 Carole BOUSSEMART, L’eau à Lille (XIe-XIXe siècles), Mémoire de maîtrise en Histoire, Université de Lille III, 1996, p.74. 94 Catherine GUEDO-THOMAS, « Les points d’eau en milieu urbain d’après l’iconographie des manuscrits à peintures du nord de l’Europe (XIIIe-XVIe siècle) » La ville au Moyen Âge. Congrès national des Sociétés historiques et scientifiques, 120, 1998, p.67-76. 91 22 plus de 200 000 habitants, il y a seulement 15 fontaines publiques, 15 fontaines privées, qu’il s’agisse d’institutions religieuses ou de particuliers fortunés, et 29 puits95. Provins bénéficie de plusieurs points d’eau, certains sont communs, comme le puits situé au débouché du pont Véron, les fontaines de la Planche-aux-Chiens, celle du coin de la rue aux Aulx96, ou encore les fontaines des abords de la porte des Bordes 97, et d’autres sont privés, comme la fontaine de Saint-Ayoul qui appartient au prieuré ou la fontaine de la Ribaudoise qui est la propriété des dominicains, libre à eux de laisser d’autres personnes que les membres de leur communauté profiter de cette eau. Les relevés archéologiques et architecturaux réalisés à Provins ont permis par ailleurs d’attester la présence de puits dans certains bâtiments d’habitation98, sans que pour autant l’on puisse en faire une règle générale. Le problème de l’approvisionnement en eau des villes se posent d’autant plus du fait de l’essor urbain que connaît l’Europe à partir du XIe siècle, surtout que, Jean-Pierre Leguay le rappelle, une famille de cinq à six personnes a besoin d’un minimum de 30 à 40 litres d’eau pour tous les usages (alimentation, hygiène, travail). « Un autre fait, trop souvent négligé, nuit au bon ravitaillement d’une collectivité : les concessions attribuées par les municipalités, à des particuliers ou aux communautés religieuses99 ». Jean-Pierre Leguay cite alors la concession faite aux franciscains par le comte de Champagne Thibaud IV d’une conduite branchée sur la fontaine de Saint-Ayoul, à une époque om les dominicains disposent déjà à Provins de la fontaine de la Ribaudoise. Pour prouver la même idée, l’historien aurait pu citer l’exemple de cette autorisation donnée à Renier Acorre par le comte Henri III. Pour le Florentin, la possibilité de bénéficier de fontaines est un avantage matériel donc, mais c’est aussi et surtout un privilège ayant valeur de distinction sociale. Jacques Heers considère en effet les fontaines dans les villes médiévales occidentales comme des monuments « ostentatoires au cœur des cités ». Il oppose la « politique communale des fontaines » développée dans certaines 95 Pascal LAFAY, Fontaines et aqueducs parisiens à la fin du Moyen Âge, Mémoire de maîtrise en Histoire, Université de Paris I, 1990. 96 Maurice PROU, Jules d'AURIAC, Actes et comptes de la commune de Provins de l'an 1271 à 1300, Provins, 1933, p. 134. 97 Félix BOURQUELOT, Histoire de Provins, Paris-Provins, Précieux-Lebeau, 1839-1840, t.I, p. 273. 98 « Des puits sont mentionnés dans les textes. Ils sont intégrés au corps principal des bâtiments, souvent dans les caves, répondant sans doute d’abord aux besoins en eau du chantier, puis aux usages domestiques. Les nombreux puits implantés hors de l’espace bâti actuel sont difficiles à dater s’ils ne sont pas en connexion architecturale. », Olivier DEFORGE, Pierre GARRIGOU-GRANDCHAMP, art. cit., note 56. 99 LEGUAY, Op. cit., p. 23 villes du Nord de l’Italie où l’approvisionnement de tous en eau est l’objectif qui l’emporte, à une « politique princière des fontaines100 » répandue dans la plupart des régions françaises où « l’usage aristocratique de l’eau101 », pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Leguay, a encore cours à la fin du Moyen Âge. L’autorisation accordée à Renier Acorre ne doit pourtant pas non plus être sur-interprétée : « On enregistre au XIIIe siècle une sensible augmentation des tractations engagées entre les municipalités et des particuliers ou des collectivités, pour amener l’eau en ville, pour poser des canalisations et indemniser les propriétaires spoliés.102 ». Certes cette autorisation s’inscrit dans un contexte propice à la conclusion de tels accords, mais il n’en demeure pas moins que la possibilité donnée à un particulier de bénéficier de fontaines dans l’ensemble de ses maisons semble bien une première103. Juste en face de l’îlot où s’installent les Jacobins, à peu près au même moment, le marchandbanquier florentin, Renier Acorre, qui a eu des fonctions politiques importantes, dans le comté Champagne ainsi qu’à la Cour des rois de France, qui s’est constitué une seigneurie, a concentré un nombre de biens immobiliers importants, rue de Jacy, grande rue de Froidmantel et rue Evrard de Jouy. Ils représentent pour lui autant une source de revenus qu’un moyen de se distinguer socialement et de s’intégrer non seulement dans la ville de Provins, dont il s’acquitte du droit de 100 Jacques HEERS, La ville au Moyen Âge en Occident : paysages, pouvoirs et conflits, Paris, Fayard, 1990, p.315326. 101 Jean-Pierre LEGUAY, Op. cit., p.107. Voir aussi : François BLARY, « De la nécessité au confort ostentatoire : l’eau au château de Château-Thierry », Delphine GAUTIER, Hervé MOUILLEBOUCHE (dir.), L'eau dans le château : actes du troisième Colloque international au château de Bellecroix, 18-20 octobre 2013. Chagny, Éditions du Centre de Castellologie de Bourgogne, 2014, p.182-207. 102 Jean-Pierre LEGUAY, Op. cit., p.112. 103 « Pour le nord de la France, Provins est la seule ville à opter pour une politique de distribution de l'eau à domicile. Dès 1273, le maire René Acorre fait capter les sources des collines méridionales et le fontainier Thomas de la Pisserotte les conduit par les rues jusque dans les maisons moyennant une redevance annuelle », André GUILLERME, « Puits, aqueducs et fontaines : l’alimentation en eau dans les villes du Nord de la France (Xe-XIIIe siècles) », L’eau au Moyen Âge, Aix-en-Provence, Publications du C.U.E.R. M.A. Université de Provence, 1985, p.185-200. Il cite en note 55 : « PROU, D'AURIAC, op. cit., p. 134. Paris et Rouen adopteront au début du XVe siècle le système de concession privative et gratuite pour les membres de la famille royale ou les anciens prévôts ». André Guillerme se trompe sur l’identification du prénom, Maurice Prou et Jules d’Auriac ayant bien transcrit Renier et non pas René. Il se trompe également sur les fonctions de Renier Acorre qui n’a jamais été maire de Provins, au contraire de son fils Jean, mais ce dernier ne l’est pas en 1273. 24 bourgeoisie depuis au moins l’année 1260, mais également dans la noblesse de Champagne, lui qui était un aubain venu d’Italie et qui voulut sans doute faire souche dans la Brie. 25