Academia.eduAcademia.edu
Neurochirurgie 55S (2009) S3–S12 Table ronde Jonction neuromusculaire et nerf périphérique : du normal au pathologique. . . Organisation anatomique et physiologique du nerf périphérique Anatomy and physiology of the peripheral nerve P. Rigoard a,∗,b,c,d , K. Buffenoir a , M. Wager a , S. Bauche c,d , J.-P. Giot e , R. Robert f,g , F. Lapierre a a Service de neurochirurgie, CHU La Milétrie, 2, rue de la Milétrie, BP 577, 86021 Poitiers cedex, France b Département de morphologie, faculté de médecine, université de Poitiers, Poitiers, France c Inserm, U582, institut de myologie, Paris, France d Université Pierre-et-Marie-Curie–Paris-6, Paris, France e Service de chirurgie plastique, CHU La Milétrie, Poitiers, France f Service de neurochirurgie, CHU Hôtel-Dieu, Nantes, France g Laboratoire d’anatomie, faculté de médecine, université de Nantes, Nantes, France Reçu le 17 mars 2008 ; accepté le 24 mars 2008 Disponible sur Internet le 23 février 2009 Abstract The peripheral nerve provides the pathway for motor, sensory and vegetative axons belonging to the peripheral nervous system. It transmits information between these neurons and their peripheral effectors in both directions (sensory receptors, skeletal muscles and viscera). The afferences to the periphery correspond to the nerve motor content, whereas efferences from the periphery, in charge of delivering information to the central integrators, correspond to nerve-sensitive content. This information support depends on intrinsic properties of the nerve itself. Recent advances in cellular and molecular biology have provided a better understanding of nerve physiology, which are reviewed here as an indispensable basis to the study of its pathology. © 2009 Published by Elsevier Masson SAS. Résumé Le nerf périphérique est le « câble » servant au passage des axones des neurones moteurs, sensitifs et végétatifs appartenant au système nerveux périphérique. Il véhicule dans les deux sens l’information entre ces neurones et leurs effecteurs (récepteurs sensitifs, muscles squelettiques et viscères). Les afférences vers la périphérie correspondent au contingent moteur du nerf tandis que les efférences, issues de la périphérie et chargées de faire remonter les informations au système nerveux central, correspondent au contingent sensitif du nerf. L’information est transmise sous forme d’influx nerveux dont les propriétés dépendent entre autres des caractéristiques intrinsèques du nerf lui-même. Les progrès récents de la biologie moléculaire et cellulaire permettent de mieux appréhender sa physiologie que nous rappellerons ici sous forme de bases indispensables à la compréhension des phénomènes physiopathologiques dont il peut être le siège. © 2009 Publié par Elsevier Masson SAS. Keywords: Peripheral nerve; Sensory; Motricity; Myelin; Neuromuscular junction; Axon Mots clés : Nerf périphérique ; Sensibilité ; Motricité ; Myéline ; Jonction neuromusculaire ; Axone 1. Introduction Le nerf périphérique est le « câble » de passage des axones des neurones moteurs, sensitifs et végétatifs appartenant au sys- ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : p.rigoard@chu-poitiers.fr (P. Rigoard). 0028-3770/$ – see front matter © 2009 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.neuchi.2008.03.009 tème nerveux périphérique. Il véhicule l’information entre ces neurones et leurs effecteurs et ce dans les deux sens (récepteurs sensitifs, muscles squelettiques et viscères). Les afférences vers la périphérie correspondent au contingent moteur du nerf tandis que les efférences, issues de la périphérie et chargées de faire remonter une information au système nerveux central (SNC), correspondent au contingent sensitif du nerf. L’information est transmise sous forme d’influx nerveux dont les propriétés S4 P. Rigoard et al. / Neurochirurgie 55S (2009) S3–S12 Tableau 1 Classification des fibres nerveuses. Classification of nerve fibers. Types de fibres Sensitives A␣␤ Ia Ib II A␦ III C IV Motrices A␣ A␥ Rôles Myélinisation Diamètre (␮m) Proprioception (fuseaux neuromusculaires) Organe de Golgi des tendons Sensibilité cutanée : toucher + + + 12–20 70–120 5–12 30–70 Pression cutanée : température + 2–5 12–30 Douleur cutanée : douleur - 0,4–1,2 0,5–2 Muscles squelettiques Fuseaux neuromusculaires + + 15–20 5–12 70–120 30–70 Végétatives - 3 Vitesse de conduction (m/s) 4–15 Les caractéristiques de diamètre, vitesse de conduction et le rôle des fibres du système nerveux périphérique, permettent d’en classer les principaux types selon deux nomenclatures : celle de Erlanger-Gasser (en lettres) et celle de Lloyd-Hunt (en chiffres romains). Diameter, conduction speed and the role of the peripheral nerve system fibers serve to classify the main types of nerve fibers using two classifications: the Erlanger-Gasser classification (in letters) and the Lloyd-Hunt classification (in Roman numerals). dépendent entre autres des caractéristiques intrinsèques du nerf lui-même. Nous aborderons successivement dans cet article les données embryologiques qui concernent les grandes étapes du développement du nerf périphérique, sa composition et structure histologique, ses propriétés mécaniques principales, sa vascularisation, la structure et la physiologie de l’axone, puis enfin, la notion de gaine de myéline amenant à distinguer les nerfs non seulement en fonction du type de fibres qui les constituent mais aussi de leur diamètre, leur myélinisation et donc leur vitesse de conduction de l’influx. Ces informations sont présentées sous la forme d’un tableau en guise de synthèse (Tableau 1). 2. Données embryologiques Même si les nerfs crâniens sont assimilés à des nerfs périphériques en tant qu’équivalents des nerfs spinaux au niveau crâniofacial, leur embryologie, leur constitution et leurs spécificités sont si particulières qu’ils ne pourront être traités dans cet article à connotation généraliste : nous nous focaliserons ici sur les nerfs spinaux et leurs branches pour décrire les grandes lignes de leur développement embryologique. On distingue deux phases dans le développement des nerfs périphériques : la croissance des fibres pionnières et le développement des nerfs spinaux segmentaires. 2.1. Croissance des fibres pionnières Les axones des motoneurones de la corne ventrale quittent le tube neural au moment où les premières fibres musculaires striées se forment dans le myotome par fusion cellulaire. (cf. l’article : « Le support anatomique de la contraction musculaire »). Les axones en croissance comportent à leur extrémité un cône de croissance sur lequel se développent constamment des pseudopodes. Ceux-ci cherchent à se frayer un chemin à travers les cellules du sclérotome jusqu’à une fibre musculaire avec laquelle ils peuvent former une synapse (Fig. 1). Les axones suivants orientent leur cône de croissance en fonction des fibres pionnières un peu plus avancées, ce qui augmente leurs chances d’atteindre leur organe terminal. Les axones mal orientés ou surnuméraires qui ne peuvent trouver de fibre musculaire encore non innervée dégénèrent. Les axones périphériques des cellules des ganglions spinaux sensitifs de l’ébauche des ganglions spinaux se raccordent aux voies nerveuses motrices tandis que leurs axones centraux forment des synapses avec les neurones centraux de la lame alaire. Les axones ventraux suivent les myoblastes qui migrent dans la paroi abdominale ventrale et dans les bourgeons des extrémités. Les synapses se forment lors de la fusion de ces myoblastes en myotubes (Fig. 1). 2.2. Développement des nerfs spinaux segmentaires 2.2.1. Lame fondamentale et lame alaire Pendant la différenciation des neurones, le manteau embryonnaire s’épaissit et détermine la forme du tube neural. Le renflement ventral du manteau correspond à la lame fondamentale tandis que le renflement dorsal correspond à la lame alaire. Les lames fondamentale et alaire s’évaginent dans le canal épendymaire de sorte que le sillon limitant apparaît entre elles. Dans la lame fondamentale sont situés les motoneurones de la corne ventrale, dont les axones partent de la future moelle épinière par la racine ventrale. Dans la lame alaire se trouvent les neurones sensitifs sur lesquels se terminent les axones afférents issus des cellules des ganglions spinaux. 2.2.2. Voies nerveuses périphériques Les fibres pionnières qui ont gagné leur cible déterminent la voie de progression des axones des nerfs spinaux. Elles conduisent par le plus court chemin les axones suivants vers les cellules cibles issues des somites. À chaque somite correspond un nerf spinal. Les axones forment une racine ventrale motrice et P. Rigoard et al. / Neurochirurgie 55S (2009) S3–S12 S5 3. Organisation générale, données histologiques et structure interne des nerfs Fig. 1. Principales étapes du développement embryologique des nerfs spinaux. A. Croissance des fibres pionnières. B. Développement des nerfs spinaux segmentaires. 1. Neurone sensitif. 2. Ganglion spinal. 3. Myotome. 4. Motoneurone de la corne ventrale. 5. Cône de croissance. 6. Fibre pionnière. 7. Lame fondamentale et racine ventrale du nerf spinal. 8. Lame alaire et racine dorsale du nerf spinal. 9. Sillon limitant. 10. Branche dorsale. 11. Branche ventrale (dessin : P. Rigoard). Major stages of embryologic spinal nerve development. A. Pioneer fiber growth. B. Segmental spinal nerve development. 1. Sensory neuron. 2. Dorsal root ganglia. 3. Myotome. 4. Ventral motor neuron. 5. Axonal growth cone. 6. Pionneer fiber. 7. Fundamental blade and spinal nerve ventral root. 8. Alar blade and spinal nerve dorsal root. 9. Sulcus limitans. 10. Dorsal branch. 11. Ventral branch (drawing: P. Rigoard). une racine dorsale sensitive ainsi qu’une branche dorsale pour la musculature dorsale et une branche ventrale pour la musculature ventrale et les zones de peau correspondantes. 2.2.3. Formation de la gaine de myéline Les cellules auxiliaires des axones (cellules de Schwann) des nerfs spinaux proviennent de la crête neurale. Elles migrent vers la périphérie avec les axones par l’ébauche du ganglion spinal. Elles forment les cellules d’enveloppe des fibres nerveuses périphériques en accueillant les axones dans une invagination profonde de leur membrane cellulaire (fibres non myélinisées). Dans les futures fibres myélinisées, la plicature de la membrane de la cellule de Schwann s’enroule plusieurs fois autour de l’axone (cf. le chapitre sur la myélinisation, ci-après). À l’état adulte, les fibres nerveuses, constituées d’axones et des cellules de Schwann qui y sont associées, sont regroupées en fascicules, engainés par le périnèvre. Ce dernier est constitué de couches de cellules périneurales, d’origine fibroblastique, séparées par des faisceaux de collagène et liées entre elles par des jonctions serrées. Ces cellules riches en vésicules pinocytiques et en matériel enzymatique de phosphorylation en font une véritable barrière de diffusion chargée de protéger le contenu endoneural, de maintenir le milieu osmotique et la pression endoneurale à des valeurs stables. Les cellules périneurales contiennent aussi des filaments d’actine contribuant à la stabilisation structurale du périnèvre et à ses propriétés mécaniques élastiques. Environ la moitié de la surface fasciculaire est occupée par les fibres, le reste est composé de l’endonèvre, tissu conjonctif lâche intrafasciculaire. Il contient une matrice de collagène principalement de type I disposée selon le grand axe du fascicule, des fluides endoneuraux, des fibroblastes, de rares mastocytes et macrophages. Les fibres nerveuses sont associées aux cellules de Schwann, seules cellules gliales du système nerveux périphérique. Celles-ci jouent un rôle primordial dans la maintenance axonale, la myélinisation et les processus de régénération. Les fascicules nerveux sont enfin contenus dans un tissu conjonctif aréolaire appelé épinèvre contenant des fibroblastes, du collagène et de la graisse en proportions variables. Cette enveloppe participe à la fixation et au glissement du nerf au sein des structures environnantes. Elle contient le réseau lymphatique et vasculaire (vasa nervorum) qui traverse le périnèvre pour communiquer avec le réseau d’artérioles et veinules de l’endonèvre. L’épinèvre constitue 30 à 70 % de la surface totale de section d’un tronc nerveux (Fig. 2). À l’extrémité proximale, l’endonèvre du nerf fusionne avec celui de la racine, l’épinèvre fusionne avec la dure-mère. Seules les couches les plus internes du périnèvre se prolongent pour recouvrir la racine. À l’extrémité distale, le périnèvre s’amincit progressivement avant d’entrer en continuité avec les organes sensoriels ou de s’interrompre au niveau de la jonction neuromusculaire. Un nerf peut être constitué de une à une centaine de fascicules dont le nombre et la distribution sont constamment variables grâce à grand nombre d’échanges de rameaux anastomotiques (Fig. 3 et 4). Ces fascicules sont plus nombreux en proximal, distribués aléatoirement, puis tendent à fusionner et s’organiser stratégiquement selon leur distribution aux différentes branches de division. Les branches de division proximales tendent à se regrouper en périphérie par exemple. La proportion de fibres destinées à une branche de division augmente lorsque l’on se rapproche de la division et le rameau ne s’individualise véritablement que peu avant son émergence du tronc nerveux. 4. Propriétés mécaniques des nerfs Un nerf périphérique possède un certain degré de résistance à l’étirement, assuré par le double jeu de l’architecture S6 P. Rigoard et al. / Neurochirurgie 55S (2009) S3–S12 Fig. 2. Coupe axiale d’un nerf périphérique. 1. Fascicules nerveux. 2. Épinèvre. 3. Vasa nervorum : artériole. 4. Vasa nervorum : veinule. 5. Périnèvre. 6. Endonèvre. 7. Fibre nerveuse. 8. Capillaire (dessin : P. Rigoard). A nerve axial slice. 1. Nerve fascicle. 2. Epineurium. 3. Vasa nervorum: arteriola. 4. Vasa nervorum: venula. 5. Perineurium. 6. Endoneurium. 7. Nerve fiber. 8. Capillary (drawing: P. Rigoard). « ondulante » des fascicules (Fig. 4) et des fibres nerveuses qu’il contient, enfin grâce aussi à l’élasticité du périnèvre. Les forces tensionnelles s’appliquent d’abord sur le fascicule puis sur les fibres qui, du fait de cette élasticité, conservent longtemps leur forme normale. Ces forces engendrent une diminution du diamètre du fascicule et une augmentation de la pression intrafasciculaire qui finira par compromettre la vascularisation du nerf si son application se prolonge. De nombreux facteurs dont l’intensité, la vitesse et la durée d’application de ces contraintes conditionnent la résistance à l’étirement. L’amortissement des forces de compression varie avec le nombre de fascicules et l’épaisseur de l’épinèvre. Les nerfs qui contiennent un grand nombre de fascicules et une faible épaisseur d’épinèvre sont plus sensibles aux forces de compression (fibres de type B par rapport au type A, sur la Fig. 5), de même que les racines qui n’ont pas de structure équivalente à l’épinèvre et dont le périnèvre est plus fin. 5. Vascularisation des nerfs Cette vascularisation est singulière à de multiples égards (Fig. 6). La trophicité axonale est particulièrement dépendante du microenvironnement endoneural du fait de l’éloignement du corps cellulaire. L’homéostasie de ce microenvironnement est obtenue et maintenue par un système vasculaire complexe et par la barrière active que constitue le périnèvre. L’apport artériel provient des troncs artériels les plus proches des nerfs. Chaque artère se divise en une branche descendante et une branche ascendante avant de donner plusieurs branches épineurales. Il existe ensuite deux systèmes séparés, fonctionnellement indépendants mais richement anastomosés : l’un extrinsèque constitué de vaisseaux régionaux nourriciers et de vaisseaux épineuraux artériocapillaires, l’autre intrinsèque réalisé par les capillaires endoneuraux distribués longitudinalement (Fig. 6). Il en résulte un chevauchement considérable entre les territoires vascularisés par les artères segmentaires. Les besoins métaboliques relativement P. Rigoard et al. / Neurochirurgie 55S (2009) S3–S12 S7 zone frontière de susceptibilité à l’ischémie entre deux territoires longitudinaux. On retrouve comme dans le SNC, une véritable barrière hématonerveuse dont l’étanchéité est liée aux propriétés du périnèvre et à la présence de jonctions serrées entre les cellules endothéliales capillaires pénétrant dans l’endonèvre et les cellules du périnèvre. Les vasa nervorum épineuraux et transépineuraux sont innervés par de fins plexus de fibres nerveuses amyéliniques végétatives sympathiques (vasoconstrictrices) pour certaines, parasympathiques (vasodilatatrices) pour d’autres. Les capillaires endoneuraux possèdent un système musculaire lisse peu développé qui suggère une autorégulation peu fonctionnelle. 6. Structure et physiologie de l’axone Fig. 3. Échanges interfasciculaires de fibres (graphisme : J.-P. Giot et P. Rigoard). Fiber interfascicular exchanges (drawing: J.-P. Giot and P. Rigoard). faibles du nerf en comparaison au flux sanguin basal élevé et la possibilité de fonctionner en anaérobie, confèrent au nerf une résistance toute particulière à l’ischémie. Toutefois la zone centrofasciculaire reste plus fragile que la zone sous-périneurale, probablement en raison de la présence d’une plus grande densité de capillaires et d’une meilleure pénétration des substances nutritives au travers du périnèvre. Il semble aussi exister une L’axone est le prolongement cylindrique du cytoplasme du neurone. Son rôle principal est la transmission de l’influx nerveux. Il ne se conçoit que dans le contexte d’une unité fonctionnelle entre le neurone et sa cible. Sa survie est liée à celle du neurone et à celle de la cible. Étant dépourvu de capacités de synthèse protéique propre, ses constituants sont donc acheminés du noyau vers la périphérie par le flux axonal. L’axoplasme, cytoplasme axonal, est limité par une membrane plasmique continue, l’axolemme. L’axolemme est formé d’une bicouche lipidique, de protéines, de glycolipides (gangliosides). Il assure l’interface axone–milieu extérieur et les relations avec les cellules de Schwann dont il est séparé par un espace périaxonal libre d’environ 10 à 20 micromètres mais l’axolemme participe aussi à la conduction de l’influx nerveux grâce à un certain nombre de protéines. Ces protéines participent au mouvement actif et passif des ions entre le milieu intra- et extracellulaire, générant ainsi des différences dynamiques de Fig. 4. Changements topographiques de la répartition des différents fascicules visualisés sur deux coupes axiales 1 et 2 (architecture ondulante) simulant un échange de fibres (graphisme : J.-P. Giot et P. Rigoard). Topographical changes in the distribution of the different fascicles visualized on two slices (1 and 2), mimicking a fiber exchange (undulating architecture) (drawing: J.-P. Giot and P. Rigoard). S8 P. Rigoard et al. / Neurochirurgie 55S (2009) S3–S12 Fig. 5. Représentation schématique de la réaction de deux types de nerfs périphériques à une contrainte en compression (graphisme : J.-P. Giot et P. Rigoard). Schematic view of two types of peripheral nerve reactions to a compression load (drawing: J.-P. Giot and P. Rigoard). concentrations ioniques de part et d’autre de la membrane axonale appelées potentiels de membrane, permettant in fine la conduction nerveuse. Les mécanismes impliqués dans la neurotransmission seront présentés dans un article spéciquement dédié à la transmission synaptique. Dans l’axone myélinisé, les canaux sodiques sont fortement concentrés dans la région nodale et très peu nombreux dans les régions internodales ; dans les axones non myélinisés, ils sont répartis de manière homogène avec une faible densité. On les retrouve aussi dans les cellules de Schwann. Les canaux potassiques et calciques se répartissent plutôt dans les régions inter- et paranodales. Le cytosquelette axonal possède une structure microfibrillaire constituée de trois principaux groupes de protéines : • les microfilaments ; • les microtubules ; • les filaments intermédiaires comprenant les neurofilaments. Elles contribuent au maintien de la forme et à la croissance de l’axone. Les neurofilaments sont constitués par un assemblage de trois protéines qui s’écartent au cours d’un processus de phosphorylation, ce qui leur confère un rôle fondamental dans la détermination du diamètre axonal. Celui-ci est corrélé à la myélinisation, il s’agit donc d’un paramètre structural essentiel. Les microfilaments, constitués d’un assemblage de polymères d’actine globulaire, se localisent préférentiellement dans les zones en mouvement et au niveau des ancrages membranaires jouant un rôle significatif dans la mobilité du cône de croissance axonal et dans la synaptogenèse. Les microtubules, hétérodimères de tubuline alpha et bêta forment des tubules creux sur lesquels se fixent de nombreuses autres protéines impliquées dans l’assemblage, la stabilisation et les interactions avec le reste du cytosquelette. Ces microtubules participent à la croissance et au flux axonal (cf. l’article : « Principaux mécanismes impliqués dans la transmission synaptique au sein de l’appareil neuromusculaire »). Le flux axonal circule constamment à double sens antérograde et rétrograde et ce à des vitesses variables en fonction des éléments transportés. Il assure en permanence la communication entre neurone, terminaison axonale et cellule cible. Il se divise en deux voies rapides antéro et rétrograde, une voie lente antérograde et une voie réservée aux mitochondries. Le flux antérograde rapide transporte, d’une part, des structures vésiculaires et tubulaires contenant les précurseurs des neurotransmetteurs, des protéines membranaires (à une vitesse de 200–400 mm/j) et, d’autre part, des mitochondries et des lipides membranaires (à environ 50–100 mm/j). Le flux antérograde lent (0,2–0,8 mm/j) transporte quant à lui, les protéines de structure du cytosquelette et des macroprotéines. Le flux rétrograde rapide (200–300 mm/j) ramène les déchets cellulaires, achemine des enzymes, des facteurs de croissance et des vésicules lysosomiales et participe au rétrocontrôle de l’activité du corps cellulaire par la cible. Ce sont les microtubules qui permettent ce transport grâce à l’aide de protéines motrices : principalement la kinésine (pour le flux antérograde) et la dynéine (pour le flux rétrograde). P. Rigoard et al. / Neurochirurgie 55S (2009) S3–S12 S9 Fig. 6. Vascularisation du nerf périphérique. 1. Plexus vasculaire épineural. 2. Vaisseau nourricier régional. 3. Vaisseau extrinsèque. 4. Vascularisation périneurale. 5. Vascularisation endoneurale (graphisme : J.-P. Giot et P. Rigoard). Peripheral nerve vascularisation. 1. Vascular plexus in epineurium. 2. Regional nutrient vessel. 3. Extrinsic vessel. 4. Vascular system in perineurium. 5. Vascular system in endoneurium (drawing: J.-P. Giot and P. Rigoard). Lorsqu’il s’agit d’un neurone moteur périphérique, c’est la synapse neuromusculaire qui correspond à l’extrémité terminale de l’axone entrant en relation avec sa cible. À ce niveau, le signal électrique est transformé en signal chimique par des mécanismes détaillés dans les articles qui suivent. L’arrivée de l’influx provoque l’entrée de calcium par l’ouverture de canaux calciques voltage dépendants, déclenchant ainsi une cascade d’activation intracellulaire qui aboutit à la fusion de la membrane et des vésicules synaptiques contenant les neurotransmetteurs, ainsi libérés par exocytose dans la fente synaptique. 7. Cellule de Schwann et gaine de myéline Les cellules de Schwann sont les seules cellules gliales représentées dans le système nerveux périphérique (SNP). Elles dérivent des crêtes neurales, migrent avec les futurs nerfs, se multiplient et se différencient grâce à certains facteurs de contrôle produits par l’axone. Leur rôle est majeur, leurs fonctions multiples, allant du guidage de la croissance axonale à la myélinisation et aux processus de dégénérescence–régénération axonale (cf. l’article : « Formation et régénération synaptique »). Dans le nerf périphérique mature, les cellules de Schwann se distribuent sous forme de chaînes longitudinales le long des axones. La géométrie de cette association dépend du caractère myélinisé ou non des axones. Les axones myélinisés ont un rapport de 1 pour 1 avec leur cellule de Schwann alors qu’une seule cellule de Schwann est généralement associée avec de nombreux axones dits non myélinisés (Fig. 7). Le diamètre moyen des fibres nerveuses décrit une distribution bimodale (cinq et 10 ␮m) pour les fibres myélinisées et unimodale (1,5 ␮m) pour les fibres amyéliniques. Or, il existe une relation directe entre l’épaisseur de la gaine de myéline et le diamètre de l’axone, d’une part, et entre le diamètre de l’axone et la distance internodale d’autre part. L’augmentation de l’épaisseur de la gaine de myéline et la distance internodale sont parallèles à l’augmentation du diamètre de l’axone. En cas de remyélinisation ou de régénération axonale, à diamètre axonal équivalent, ces valeurs sont plus faibles. Il existe un contrôle neuronal de ces paramètres, déterminés par l’activité fonctionnelle de la fibre nerveuse. Il existe un lignage cellulaire selon lequel les cellules de Schwann subissent trois étapes de transition avant de devenir matures et différenciées en cellules myélinisantes ou non. Les neurégulines jouent un rôle central au cours de ces différents stades dans leur développement et donc dans leur survie. Des taux élevés de neurégulines sécrétées par les axones de S10 P. Rigoard et al. / Neurochirurgie 55S (2009) S3–S12 Fig. 7. Représentation d’un fascicule nerveux en microscopie électronique. 1. Cellules périneurales aplaties. 2. Jonctions serrées. 3. Vésicules pinocytiques. 4. Axone myélinisé. 5. Axone non myélinisé. 6. Cellule de Schwann. 7. Fibroblaste. 8. Capillaire (cellule endothéliale). 9. Fibres de collagène. 10. Membrane basale. 11. Mésaxone (dessin : P. Rigoard). Schematic view of a nerve fascicle in electron microscopy. 1. Perineural cells. 2. Tight junctions. 3. Pinocytic vesicles. 4. Myelinated axon. 5. Unmylienated axon. 6. Schwann cell. 7. Fibroblast. 8. Capillary (endothelial cell). 9. Collagen fibers. 10. Basal membrane. 11. Mesaxon (drawing: P. Rigoard). diamètre supérieur à 1 ␮m, orientent la cellule gliale vers la myélinisation alors que les plus petits axones (exprimant des taux bas de neuréguline) seront simplement engainés par le cytoplasme Schwannien. Dans les deux cas, les cellules de Schwann peuvent se dédifférencier en cellules immatures en cas de lésion traumatique notamment au cours des processus de régénération qui seront développés plus tard. Ces différentes étapes sont soumises à des facteurs de transcription spécifiques, dont l’activité modifiera le profil protéique et donc le rôle de la cellule (Fig. 8). 8. Fibres non myélinisées Dans les nerfs afférents cutanés et les racines dorsales, environ 75 % des axones sont non myélinisés. Ils constituent aussi environ 50 % des fibres des nerfs à destinée musculaire et 30 % des fibres dans les racines ventrales. Les axones végétatifs postganglionnaires sont quasiment exclusivement non myélinisés. Une fibre dite non myélinisée correspond à un groupement d’axones de petits diamètres (0,15–2,0 micromètres) au sein d’une cellule de Schwann. Il existe une variété importante Fig. 8. Développement et différenciation de la cellule de Schwann sous le contrôle de facteurs de transcription (Sox-10, Oct-6, Krox-20) selon différentes concentration de neurégulines (graphisme : J.-P. Giot et P. Rigoard). Development and maturation of Schwann cell under transcription factor control (Sox-10, Oct-6, Krox-20) depending on different neuregulin concentrations (drawing: J.-P. Giot and P. Rigoard). P. Rigoard et al. / Neurochirurgie 55S (2009) S3–S12 S11 d’arrangements entre la cellule de Schwann et les axones. Ils se retrouvent isolés les uns des autres par de simples séparations grâce à des « langues » cytoplasmiques de cellules gliales ou par des cloisonnements plus élaborés, liés aux processus cytoplasmiques convergeant vers la région périnucléaire (Fig. 7). Durant le développement, il se forme une invagination du cytoplasme de la cellule de Schwann, englobant l’axone. Ses extrémités se rapprochent pour former le mésaxone, constitué alors d’une double couche de membrane plasmique, mesurant 15 à 20 nm. L’axone est éloigné des parois membranaires par un espace « périaxonal » de même dimension. Cette architecture fait communiquer le contenu endoneural avec l’espace périaxonal « fermé » par le mésaxone. Cela permet un contrôle des mouvements ioniques lors de la propagation du potentiel d’action le long de l’axone cloisonné. La vitesse de conduction, lente, est proportionnelle au diamètre axonal. 9. Fibres myélinisées 9.1. La myélinisation La myélinisation est observée dans le SNP pour des axones dont la taille dépasse 1–1,5 ␮m. Le calibre axonal n’est pas l’unique facteur déterminant de la myélinisation. Elle fait suite à l’histogenèse et survient plus tard, vers le quatrième mois de la vie fœtale. La myélinisation du SNP précède celle du SNC. Le processus débute, en effet, dans les racines de la moelle épinière. Les racines motrices sont myélinisées avant les racines sensitives. L’axone s’invagine dans une dépression de la cellule de Schwann qui finit par l’entourer presque complètement en laissant subsister un espace relié à la surface : le mésaxone. La cellule de Schwann produit alors une quantité considérable de membranes qui s’enroulent autour de l’axone (plus de 100 fois) (Fig. 9). Initialement, le prolongement de la cellule de Schwann est rempli de cytoplasme mais ultérieurement, l’accolement des membranes fait disparaître le cytoplasme intermédiaire et forme un complexe lipoprotéinique : la gaine de myéline dite compacte. Le cytoplasme persiste par plages où la myéline est dite non compacte, dans la région périaxonale ainsi que dans les incisures de Schmidt-Lanterman, réalisant une alternance de bandes de myéline non compactes au sein de la myéline compacte (Fig. 10). La périodicité des bandes de myéline compacte est de 15 nm. La cellule de Schwann myélinise un segment donné de l’axone. La zone transitionnelle séparant deux segments myélinisés est appelée nœud de Ranvier. L’espace séparant deux nœuds de Ranvier s’appelle l’espace internodal. La gaine de myéline se termine de chaque côté d’un nœud par un bulbe paranodal. La surface du bulbe et l’axone sous-jacent sont crénelés à l’approche du nœud produisant des rainures de cytoplasme Schwannien, lesquelles contiennent essentiellement des mitochondries. Les boucles terminales de cytoplasme paranodal recouvrent partiellement l’axone et contiennent des microtubules, des vésicules membranaires et des microfilaments. Il existe à ce niveau un complexe structural d’éléments cytosquelettiques et de ponts membranaires impliqué dans l’adhésion et le maintien de la gaine de myéline ainsi que dans la participation de la cellule de Schwann au fonctionnement nodal. L’axone est donc au niveau Fig. 9. Développement et organisation schématique de la gaine de myéline. 1. Mésaxone interne. 2. Mésaxone externe. 3. Membrane basale (dessin : P. Rigoard). Development and schematic organization of the myelin sheet. 1. Internal mesaxon. 2. External mesaxon. 3. Basal lamina (drawing: P. Rigoard). du nœud de Ranvier partiellement recouvert par les boucles latérales de gaine de myéline mais aussi par la membrane basale des cellules de Schwann adjacentes qui fusionnent pour former un tube continu autour de l’axone. Cela sera primordial dans les processus de régénération. Les régions paranodales contiennent des concentrations élevées d’ions sodium et calcium. De fins prolongements villositaires émergent de l’extrémité cytoplasmique des cellules de Schwann et s’incurvent dans l’interstice nodal avant d’entrer en contact avec l’axolemme Fig. 10. Vue au microscope électronique d’une incisure de Schmidt-Lanterman (photo : N. Quellard et B. Fernandez). An electron micrography of a Schmidt-Lantermann cleft (photo: N. Quellard and B. Fernandez). S12 P. Rigoard et al. / Neurochirurgie 55S (2009) S3–S12 nodal. Ces prolongements sont plus nombreux dans les fibres de gros diamètre. L’interstice contient une substance riche en protéoglycanes. Chaque segment myélinisé est séparé de l’axone par un mince espace périaxonal (15–20 nm) qui est fonctionnellement séparé de l’espace extracellulaire paranodal. 9.2. La myéline La lamelle de myéline périphérique présente une composition différente de la myéline centrale. Elle est constituée d’une bicouche lipidique (70–80 %) comprenant toutes les classes de lipides mais en particulier du cholestérol, des phospholipides et des glycosphyngolipides. Un dysfonctionnement du métabolisme et surtout du catabolisme de ces lipides ou bien encore des altérations des acides gras sont à l’origine de pathologies démyélinisantes sévères. On retrouve également de nombreuses protéines dans la myéline périphérique. Certaines sont présentes dans l’ensemble du système nerveux mais la majeure partie des protéines structurales du SNP lui sont spécifiques. La protéine P0 , appartenant à la superfamille des immunoglobulines, est le constituant majoritaire (50 %) de la myéline périphérique et intervient dans son compactage (lignes denses majeures). La myéline compacte contient d’autres protéines comme la PMP22, la protéine basique de la myéline. La Myelin Associated Glycoprotein (Mag) appartient à la même catégorie et est retrouvée dans la myéline non compacte, principalement dans la zone périaxonale. Un des rôles de ces protéines est de permettre la diffusion des ions et des petites molécules au travers des spirales de la gaine de myéline entre espace périaxonal et espace endoneural. Elles sont fortement impliquées dans de nombreuses neuropathies ou affections démyélinisantes comme au cours de processus dysimmunitaires (la protéine P1 dans la sclérose multiple, P2 dans le syndrome de Guillain-Barré, Mag dans les neuropathies sensitivomotrices) ou de mutations pathogènes (pour P0 et PMP22 responsables de syndromes CMT-1 ou 2 de type Charcot-Marie-Tooth). La myélinisation accélère la conduction nerveuse. La conduction de l’influx est continue (ininterrompue) dans les fibres non myélinisées et la vitesse maximale obtenue est limitée à 15 m/s. Dans les fibres myélinisées, la membrane excitable est confinée aux nœuds de Ranvier car la myéline possède des propriétés d’isolant électrique. Cette conduction devient donc saltatoire, de nœud en nœud, pouvant atteindre des vitesses dix fois supérieures (120 m/s). Le nombre d’influx pouvant être conduits par ces fibres est aussi bien plus important. La myélinisation optimise le rendement énergétique de la fibre. La « membrane basale » de la cellule de Schwann joue un rôle dans le guidage des axones lors de la croissance axonale. Véritable tuteur formé de collagène de type IV, de laminine et de fibronectine, elle entre en contact avec des récepteurs de la membrane cellulaire impliqués dans la myélinisation notamment. Les cellules de Schwann participent aussi à la résorption des débris axonomyéliniques en collaboration avec les macrophages au cours des processus de régénération des traumatismes des nerfs périphériques (détaillés dans l’article suivant, consacré à la physiopathologie du nerf traumatisé). Pour en savoir plus Antoine, J.C., 1999. Anatomie et physiologie du nerf périphérique. In: EMC, Appareil locomoteur. 14-005-A-1. Battista, A., Lusskin, R., 1986. The anatomy and physiology of the peripheral nerve. Foot Ankle 7, 65–70. Bhatheja, K., Field, J., 2006. Schwann cells: origins and role in axonal maintenance and regeneration. Int J Biochem Cell Biol 38, 1995–1999. Bonnel, F., 1989. Nerfs périphériques. In: Anatomie et pathologie chirurgicale. Masson, Paris, 1–19. Bossy, J., 1994. Ontogenèse du système nerveux : organogenèse, maturation, croissance, sénescence, malformations et troubles du développement. In: Neuroanatomie. Vigot, Paris, 357–387. Cesaro, P., Keravel, Y., 1993. Neuroanatomie fonctionnelle. De la cellule aux comportements. ANNP, vol.1 : Le neurone (Paris). Drews, U., 1994. Atlas d’embryologie. Médecine-Sciences, Flammarion, Paris. Gray’s anatomy., force student by Richard Drake, A. Wayne Vogl, Adam W.M. Mitchell, Adam Mitchell, 2004. Cytologie of the peripheral nervous system, 39th ed. Elsevier, 945–973. Hugon, J., Poirier, J., 2003. Histologie du nerf périphérique. In: Neuropathies périphériques. Doin, Paris, 69–78. Lapierre, F., Arbeille, B., Mira, J.C., 1991a. Effet de l’âge sur le nombre et le calibre des fibres nerveuses myélinisées. Étude qualitative et quantitative sur le rat. Chirurgie 117, 807–816. Lapierre, F., Arbeille, B., Mira, J.C., 1991b. Effet de l’âge sur le nombre et le calibre des fibres nerveuses myélinisées. Étude après congélation localisée ou section–suture du nerf sciatique chez le rat pubère. Chirurgie 117, 817–826. Lundborg, G., Dahlin, L.B., 1991. Structure and function of peripheral nerve. In: Operative nerve and reconstruction. JB Lippincott, Philadelphia, 3-18. Lundborg, G., Dahlin, L., 1996. Anatomy, function and pathophysiology of peripheral nerves and nerve compression. Hand Clin 12, 185–193. Mumenthaler, M., Schliack, H., 1998. Peripheral Nerve lesions. In: Diagnosis and therapy. Thieme, Stuttgart. Sunderland, S., 1978. Nerves and nerves injuries. Churchill Livingston, New York, 133–141.